Le mois de saint Joseph
16 mars
Source : Livre "Mois de Saint Joseph : composé de trois neuvaines et un triduum pour tous les jours du mois de mars" par Alexis Lefebvre
SEIZIÈME JOUR
LA TEMPÉRANCE
Vivons dans la tempérance, la justice et la piété. (Tit. II, 12.)
Nous
abordons aujourd'hui un sujet difficile, et dont on parle rarement dans
les livres qui traitent de la perfection chrétienne.
C'est
pourtant une belle vertu que la tempérance, une des quatre vertus
cardinales, c'est-à-dire essentielles ou fondamentales. Cette étude peut
être regardée comme l'une des plus importantes pour la réforme de nos
mœurs et pour notre salut.
Saint
Joseph s'est élevé à la plus sublime perfection de cette vertu, comme
il sera facile de s'en convaincre dans l'exposition même de la doctrine
de saint Thomas d'Aquin sur ce sujet.
Non-seulement
il l'a pratiquée, fidèlement par un don spécial de la grâce divine, èt
par un attrait particulier ; mais, s'il est permis de s'exprimer ainsi,
par la nécessité même de sa condition.
Il
a fait de nécessité vertu, car il était pauvre et simple artisan ; il
mangeait donc le pain de chaque jour à la sueur de son front. Et quelle
pureté, quelle simplicité, quel amour du silence, pendant tout le cours
de sa vie !
I.
Commençons par la notion de cette vertu admirable de la tempérance.
Saint Thomas d'Aquin en définit la nature, les caractères et les effets
en quelques mots pleins de lumière : Temperantia est moderata passionum
circa bona sensibilia concupiscentise dominatio, prxsertim gulse ; la
tempérance est une vertu qui nous apprend à dominer et modérer toutes
les passions qui flattent la sensualité, mais surtout la gourmandise ;
et nous pouvons dire que cette définition renferme tout un traité, avec
les principales divisions du sujet.
Il
y a, d'après ce saint Docteur, une foule de petites vertus qui
dépendent de la tempérance et qui concourent à la perfection de ses
actes. Ainsi l'abstinence, la sobriété, la retenue, la décence, la
pudeur, la modestie, la clémence, la douceur, la discrétion, etc.,
toutes ces qualités qui composent un ensemble de vie parfaitement
chrétienne et sainte, ont des nuances particulières qu'il serait trop
long d'indiquer ici, mais elles ne sont que les sœurs et les fidèles
compagnes de la tempérance elle-même ; et les fruits de ces vertus sont
pleins de douceur.
Enfin,
par opposition, et pour nous faire mieux comprendre la nature de cette
vertu, saint Thomas, selon sa coutnme, énumère les vices principaux qui
lui sont contraires. C'est donc ici, d'après ce grand Docteur, la
gourmandise directement ; puis l'incontinence, la vaine curiosité,
l'abus ou l'excès dans les jeux et divertissements, le luxe immodéré
dans la toilette, dans les vêtements, dans l'ameublement et toute la vie
extérieure ; et il définit également tous ces défauts, en prouvant
qu'ils sont opposés à la vertu de tempérance, dont il exalte le mérite
et l'excellence.
II.
Ces principes bien établis, et la définition une fois bien comprise
avec l'explication de l'Ange et maître de l'école sacrée, l'étude
pratique de cette vertu de tempérance deviendra facile au lecteur de
bonne volonté.
Nous
dirons d'abord ce qu'il faut éviter, pour ne pas tomber dans une foule
de fautes opposées à la vertu, et ce qu'il faut faire pour tâcher
d'arriver à la perfection: quid vitandum. quid agendum, c'est encore une
formule ordinaire de notre saint Docteur.
1°
Quid vitandum. Ce ne sont pas seulement tous les excès honteux dans le
boire ou le manger, vices hideux dont l'homme seul est capable par
l'abus de sa raison, mais la recherche immodérée, le luxe somptueux des
festins, où l'on étale à grands frais tout ce qui peut flatter la
sensualité, les mets les plus rares des pays étrangers, les fruits
exotiques qui souvent ne valent pas les nôtres, les primeurs qui n'ont
guère que le mérite de n'avoir ni leur maturité, ni leur saveur, ni
leurs parfums naturels ; les vins exquis, les liqueurs de grand prix, et
qui viennent de l'autre monde...
Tâchez
d'éviter ce luxe, ce faste exagéré de la table, et ne consacrez pas à
cet acte matériel autant d'heures que certains peuples du Nord : cela
est coutraire à la tempérance, au moins pour tous les autres pays du
monde.
Quid
vitandum. Donnant au mot de tempérance un sens plus général et plus
étendu, avec saint Thomas, nous dirons que le Chrétien doit éviter la
vaine curiosité, qui porte à faire tant de lectures frivoles,
dangereuses et propres à jeter le trouble dans les intelligences et à
gâter la vie des cœurs. C'est pour plusieurs comme une fatale ivresse,
et qui peut aller jusqu'à la mort de l'âme.
Quid
vitandum. Les entraînements passionnés pour le jeu, que des hommes
insensés prolongent pendant des nuits entières, avec la fièvre du gain
ou le désespoir des pertes immenses, d'une ruine consommée ; quelquefois
même avec le remords d'une injustice toujours si difficile à réparer,
ou qui aurait compromis l'honneur d'un nom et d'une famille.
Quid
vitandum. Ces excès d'un luxe effréné dans les habillements et surtout
dans les modes et parures du soir. Quelle intempérance par excès et par
défaut dans ces belles robes qui descendent trop bas et ne montent pas
assez haut, sans parler du prix incroyable de ces brillantes soieries
!...
Quid
vitandum. Mais, toute cette abondance, ces flots, ces torrents de
paroles vaines, inutiles, trop souvent aussi légères et curieuses,
parfois méchantes et inspirées par l'envie, la jalousie, l'orgueil, le
mensonge, peut-être même par l'irréligion ou par une sorte d'incrédulité
de bon ton.
Quid
vitandum. Ce qu'il faut éviter, pour ne pas s'exposer à tomber dans
toutes les sortes d'intempérance que je viens de signaler, je le dirai
simplement : eh bien ! il ne faut pas trop aimer ce qu'on appelle de nos
jours le confortable ; mot hideux, qui finira certainement par devenir
français, mais qui ne sera jamais ni chrétien ni évangélique ; car, s'il
n'y a pas toujours intempérance dans ce qui est purement confortable,
on en est bien près assurément, on y sera bientôt et comme
infailliblement conduit. Evitez donc cette mollesse et cette sensualité
des gens du monde ; le Chrétien doit être mortifié, crucifié avec
Jésus-Christ, par amour pour Jésus-Christ, pour triompher un jour dans
la gloire avec Jésus-Christ.
2°
Quid agendum. Et maintenant que faudrat-il faire pour arriver à la
pratique, à la perfection de cette vertu de tempérance ? Les détails ici
deviendraient infinis, si nous voulions parcourir toutes les sortes de
tempérance, et les vertus qui en dépendent. Afin donc de nous borner, ne
parlons que de la modération dans le boire et le manger : prsesertim
guise, dit saint Thomas d'Aquin ; et, pour prévenir tout excès à cet
égard, toutes les fautes de gourmandise, donnons quelques règles sûres
et faciles.
La
première régle est tirée de l'Évangile même et se résume en deux mots :
Simplicité, mortification. — Simplicité : Manducate quse
II.
apponuntur
vobis (Luc. x, 8).: Mangez ce que l'on vous sert, dit Jésus-Christ,
sans rechercher, sans choisir ce qui paraîtrait mieux ; mais aussi
certainement, en se conformant aux prescriptions légales, aux préceptes
de l'Église.
—
Mortification : Il faut bien faire pénitence : pœnitentiam agite (Act.
11, 58). Le jeûne, l'abstinence, sont extrêmement utiles au salut de
notre âme ; c'est, disent les saints Docteurs et l'Église même dans une
des plus belles prières de sa liturgie sacrée, c'est le moyen le plus
sûr de vaincre nos passions, d'élever notre esprit à Dieu, d'acquérir
toutes les vertus et de mériter la gloire : vitia comprimit, mentent
elevai, virtutem largitur et prœmia.
La
seconde règle est renfermée dans les conseils donnés par les Saints, et
pourrait en effet suffire, non-seulement pour éviter à jamais toutes
les fautes de ce genre, mais pour nous porter en peu de temps à la vraie
perfection de la vertu. Et d'abord, c'est saint Jean Climaque et saint
Augustin, qui engagent le disciple de Jésus-Christ, au moment du repas, à
penser souvent à la Passion du Sauveur, au fiel et au vinaigre qu'on
lui donna au Calvaire : memoria passionis Christi, aceti et fellis.
Puis,
c'est saint Ignace de Loyola qui, dans le livre des Exercices, nous
propose deux moyens, l'un plein de force et l'autre plein de douceur,
pour arriver au même but d'une parfaite tempérance.
Le
premier moyen est indiqué dans les règles qu'il donne de cette vertu,
et qui tendent à mortifier pleinement la sensualité, en se privant
autant que possible et par degré : quanto plut, dit-il, le plus que l'on
pourra ; c'est donc la mortification progressive dans la nourriture :
on retranche tous les jours un peu, et principalement dans les choses
qui flattent le goût.
Le
second moyen est de nous représenter Jésus-Christ même et sa sainte
Mère auprès de nous, à table avec nous. Cette pratique pleine de douceur
et qui plaît extrêmement aux âmes intérieures, aux personnes pieuses,
les élève au-dessus de cet acte matériel, et les dégage complètement.
Non-seulement cette pensée vous préservera de tout excès blâmable ; mais
elle vous portera sans cesse aux petits sacrifices qui réjouissent le
cœur de Dieu, et méritent une augmentation de charité et de gloire.
Nous
ne craignons pas d'assurer, que celui qui voudra prendre une de ces
régles saintes, et suivre celui de ces conseils qui lui plaira le plus,
n'aura jamais à parler de ses repas, dans la confession, jusqu'à la fin
de sa vie.
Je
finis, en priant le lecteur, conformément au conseil de saint Ignace,
de se figurer souvent qu'il prend sa nourriture avec la sainte famille,
avec Jésus, Marie, Joseph, et de ne jamais sortir de table, sans leur
avoir offert une légère mortification, mais avec simplicité, et en
faisant bien attention, pour que cette petite pénitence ne puisse être
remarquée ou aperçue que des anges seulement.
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