Le mois de saint Joseph
15 mars
Source : Livre "Mois de Saint Joseph : composé de trois neuvaines et un triduum pour tous les jours du mois de mars" par Alexis Lefebvre
QUINZIÈME JOUR
LA FORCE
Vous avez été la force du pauvre et la force de l'indigent, au jour de ses tribulations. (Is. XXV,4.)
C'est
avec bonheur que nous appliquons ces paroles à saint Joseph, qui a été,
dans le temps, la force d'un Dieu pauvre et anéanti, le soutien et
l'appui de Jésus enfant et de sa sainte mère, la Vierge Marie. Heureux,
mille fois heureux Joseph, d'avoir trouvé la femme forte par excellence,
ce trésor précieux et si rare dont parle le livre de la Sagesse ! plus
heureux encore d'avoir lui-même reçu de Dieu cette belle vertu de la
force divine, ce mâle courage, cette constance qui mérite le ciel et
assure la couronne de gloire ! mais infiniment heureux d'avoir été la
force et l'appui de son Dieu sur la terre et dans les souffrances de la
pauvreté : Factus es fortitudo pauperi.
De
toutes les vertus cardinales, la force est la plus nécessaire ; car la
vie de l'homme et du chrétien surtout est un combat et une douleur : il
faut beaucoup de force pour lutter et souffrir, toujours lutter,
toujours souffrir.
Mais
qu'elle est belle cette vertu dans notre saint patron ! Il l'a montrée
surtout dans trois circonstances qui remplissent sa vie entière.
D'abord,
dans la peine d'une condition pauvre et humiliée ; puis, dans la
manière dont il porta la gloire de ses titres incomparables, c'est-dire
dans l'accomplissement de ses devoirs sacrés auprès de Jésus et de
Marie, sa céleste épouse ; et enfin, dans sa très-sainte et
très-heureuse mort : trois pensées que le pieux lecteur doit retenir et
méditer dans son cœur pendant cette journée.
Bien comprises, elles suffiraient pour nous donner le sujet et le plan d'un panégyyique à la gloire de saint Joseph.
Tous ceux qui sont dans le ciel ont pu dire comme lui : Ma force est en Dieu, mon Dieu est ma force, toute ma force ! Deus meus factus est fortitudo mea (Is. XLIX,. 5)
; mais seul il peut ajouter : Et moi aussi j'ai été la force de mon
Dieu, quand il s'est fait pauvre et indigent sur la terre : Fortitudo pauperi et fortitudo egeno, in tribulatione suâ.
Deux parties dans cette méditation : I. Une étude théorique ; II. Un examen pratique sur la vertu de force.
I.
Dans cette étude nous ne pourrions jamais trouver un guide plus sûr, un
maître plus habile que saint Thomas d'Aquin. Il expose toujours sa
doctrine avec un ordre et une clarté admirables, mais surtout dans le
traité des vertus. Il commence naturellement par définir celle dont il
va parler : ainsi pour la force deux mots lui suffisent : Sustinet et
aggreditur. La force est un courage puissant, dans l'épreuve comme dans
le combat ; calme à la vue du danger, patient au milieu des douleurs.
Après
la définition, le saint Docteur a coutume d'énumérer les principales
qualités qu'il appelle parties intégrales de cette vertu et qui
concourent à ses actes. Ici c'est la confiance et l'intrépidité, la
constance, la patience et la magnanimité sans lesquelles, en effet, il
est comme impossible de concevoir la force, et, sans lesquelles jamais
elle ne pourrait agir.
Enfin,
il fait connaître tous les défauts opposés à cette vertu, moyen simple
mais excellent pour compléter la notion doctrinale qu'il en donne. Il
indique ici deux vices opposés à la force, l'un par défaut, c'est la
timidité ; l'autre par excès, et vous apprendrez avec surprise que c'est
l'audace ou la présomption, et pourtant rien n'est plus vrai. Ainsi,
dit-il, quoi de plus faible qu'un enfant ou un insensé ? et cependant
rien de plus hardi, de plus présomptueux ; aussi ne peuvent-ils rien
faire, manquant absolument de force et de constance.
La
force, vertu morale que l'on désigne plus habituellement sous le nom de
force de caractère, est déjà un don bien précieux de la nature, ou
plutôt de son auteur, c'est la qualité qui fait les grands hommes, les
héros, les conquérants. Mais nous ne parlons ici que de la force
surnaturelle, vertu sainte et divine, infifiniment supérieure dans son
principe et dans ses effets ; car sa source est Dieu même : Quia tu es,
Deus, forïitudo mea (Ps. Xlh, 2).
Cette
grâce divine de force peut très-bien s'allier, et de fait, elle s'allie
parfaitement avec la vue et le sentiment de notre faiblesse et de notre
misère. Que dis-je ? la connaissance même de notre faiblesse en est
comme la base et le fondement : Cum infirmor, tune potens sum (Il Cor.
Xii, 10), dit l'apôtre saint Paul ; c'est alors que je suis puissant,
quand je suis faible... c'est-à-dire, lorsque je sais que je suis faible
: et saint Augustin dit positivement que toute la force est dans
l'humilité : Omnis fortitudo in humilitate.
Mais
aussi, quelle force le Seigneur n'a-t-il pas donnée aux âmes douces et
humbles ? Quelles conquêtes et quels triomphes ! Les Apôtres d'abord,
nos pères dans la foi, et tous les fondateurs de nos églises les ont
cimentées dans leur sang et illustrées par leur mort.
Après
eux, un grand nombre de nos frères aînés, glorieux martyrs ont triomphé
du monde et de l'enfer, ils ont méprisé les menaces et la rage des
persécuteurs ; ils allaient en chantant à la mort. On a vu des enfants,
des femmes, des vieillards, plus forts que tous les empereurs de Rome et
ses tyrans, monter avec joie sur les bûchers ardents, ou descendre dans
les arènes pour y être dévorés par les lions, les tigres et les
léopards ; et ils avaient trouvé cette force en Dieu ; Dieu qui
s'unissait à leur âme dans l'ardeur d'une prière fervente, que dis-je ?
qui se donnait à eux dans la vertu même de la sainte Eucharistie, ce
vrai pain des forts. Car ils avaient la coutume de se nourrir de ce pain
sacré dans leurs sombres cachots, et c'est sur leur poitrine déjà
souvent blessée par le fer des bourreaux, que les prêtres, ces premiers
soldats et disciples de Jésus, célébraient les augustes mystères ; autel
bien digne de l'agneau qui a été tué pour nous.
II.
Venons maintenant à l'étude pratique de cette vertu. Déjà nous en avons
indiqué les sources vives et fécondes : la prière, une prière pleine
d'humilité et de confiance ; la sainte Eucharistie, la communion
surtout, ce sont là les deux premiers moyens pour acquérir la force de
Dieu. J'ajoute l'esprit de sacrifice, l'habitude de se vaincre soi-même :
Vince te ipsum, c'est la devise des forts, et le secret des plus
glorieuses victoires.
Mais,
afin que cette leçon devienne encore plus directe à tous nos lecteurs,
et par conséquent plus pratique et plus efficace, je me propose de
donner ici des conseils particuliers aux hommes et aux femmes.
1°
Pour les hommes d'abord. La plupart usent et perdent toutes leurs
forces dans les plaisirs et dans les affaires de ce monde. Les plaisirs
commencent par affaiblir la jeunesse imprudente et légère ; puis, ce
sont les affaires, les intérêts matériels de cette vie qui épuisent
l'âge mûr. Mais ce qui est certain, c'est que dans cette classe, chez
les hommes, on voit partout des cœurs amollis, des esprits fatigués ;
partout des âmes sans ressort, sans énergie, sans volonté.
Une
autre cause de faiblesse et de lâcheté pour les hommes, je le dirai,
quoique cet aveu me coûte et me fasse honte, c'est le respect humain. Il
y a des chrétiens qui ont des peurs incroyables : lâches soldats de
Jésus-Christ, qui rougissent de lui et de son Évangile, odieux et
infâmes apostats de la foi ou de la loi de Dieu, et devant qui ?... il
ne s'agit pas d'un persécuteur, d'un bourreau, mais d'un petit incrédule
ou d'un libre penseur ! Il n'est pas question du supplice ni de la
mort, mais d'un bon mot ou d'un sourire ! Illic trepidaverunt timore,
ubi non erat timor (Ps. xm, 5). Quelle faiblesse ! quelle lâcheté !...
Souvent
aussi c'est l'imprudence, la présomption qui est la cause des
défaillances et des faiblesses des hommes. Ils vont comme des téméraires
et des insensés se jeter au milieu des ennemis, s'exposer au danger et à
la mort dans les vains plaisirs et les spectacles d'un monde profane et
corrompu ; Malheureux !... Êtes-vous donc plus saints que David....
plus forts que Samson ? ; plus sages que Salomon ?... Ils sont tombés !
et vous allez périr !
Conclusion.
Les hommes perdent leur force et succombent toujours, ou par timidité
ou par présomption. Ce sont les deux défauts signalés par saint Thomas
d'Aquin. Pour leur rendre un peu de courage et les relever, il n'y
aurait vraiment que la prière et les sacrements. Mais hélas ! ils ne
prient pas, ils ne communient pas, ils seront donc toujours vaincus.
Pour
vous, mon cher lecteur, si vous voulez éviter ce malheur, il faut
prier, veiller et combattre, mais combattre légitimement, c'est-à-dire
avec constance et jusqu'à la fin, c'est la condition pour remporter la
victoire et mériter la couronne d'immortalité : Vigilate et orate
(Matth. xvi, 41). Non coronabitur nisi qui legitime certaverit (II Tim.
n,-ô).
2°
Les femmes. Je commencerai par dire qu'il y en a vraiment beaucoup de
fortes et de courageuses, quoique le plus sage des Rois ait demandé,
avec une sorte d'ironie, où l'on pourrait en trouver une ? Mulierem
fortem quis inveniet (Prov. xxxi, 10) ? Il y en a dans l'Église. il y en
a beaucoup qui souffrent avec courage, qui savent lutter avec
constance. On en voit triompher de la douleur et vaincre dans les
combats les plus redoutables. Elles ne sont presque jamais assez faibles
ou assez lâches pour devenir esclaves du respect humain, et cela de
tout temps.
Déjà
au jour de la Passion du Sauveur, elles s'étaient montrées plus
courageuses que les hommes, et même que les disciples de Jésus : elles
l'ont suivi au Calvaire, elles ont pleuré au pied de sa croix et à son
tombeau. Aujourd'hui encore, il y en a peu qui succombent à cette
épreuve du respect humain.
Je
vous dirai bien pourquoi elles ont plus de force que nous ; c'est
certainement parce qu'elles prient mieux, parce qu'elles communient plus
souvent que les hommes. Dieu les soutient, Dieu les bénit.
Mais
il y a aussi pour elles des causes de faiblesses étonnantes, et la
première, c'est leur sensibilité même : elles sont faibles par leur
cœur, qui est en même temps toute leur force. La seconde, c'est la
légèreté et l'inconstance de leur esprit : elles changent souvent ;
elles se découragent facilement.
Avec
la prière qui les préservera toujours, et qui leur donnera la victoire,
elles doivent recourir au travail. Le Saint-Esprit, dans le portait
admirable qu'il a tracé de la femme forte, au livre de la Sagesse, a
révélé ce grand secret de vie parfaite et de ses plus beaux triomphes.
Que fait-elle donc de si extraordinaire, cettefemme, que l'on serait
heureux de trouver, et dont le prix est au-dessus de tous les trésors de
la terre ? Ce qu'elle fait ? Elle travaille ; ses doigts tiennent
l'aiguille, et sa main tourne le fuseau. C'est elle qui met l'ordre dans
sa maison ; la joie, l'honneur y habitent avec elle. Ses domestiques
surveillés avec soin sont heureux, bien vêtus, bien nourris ; et son
mari est fier et glorieux des vertus d'une si douce et si fidèle
compagne.
Donc,
c'est dans l'amour du devoir, dans, l'ordre et le travail, dans le
dévouement même de sa vie que se trouvent la force et le triomphe de la
femme parfaite, de la mère chrétienne, de l'épouse bien-aimée et d'une
sœur chérie.
Demandons
à Dieu cette grâce, nous qui sommes les frères ou les enfants des
martyrs. Adressons-lui cette prière de Samson, au moment de sa dernière
victoire et de sa mort glorieuse :
O
mon Dieu, rendez-moi toute ma force : Redde mihi mine fortitudinerà
pristinam (Judic. xvi, 28). Goncussisque fortiter columnis, cecidit
domus super omves... (Ibid.) et les colonnes du temple se brisant sous
sa main puissante, l'immense édifice s'écroula sur la tête de ses
ennemis, et il en tua plus en mourant qu'il n'en avait tué pendant toute
sa vie. Il est certain que souvent il a suffi d'un seul acte de courage
pour assurer le salut et la sainteté d'une âme : lisez la Vie de saint
Louis de Gonzague, de sainte Elisabeth, du P. de Beauvau, et de tant
d'autres, et vous verrez ce que peut un acte héroïque de vertu.
Mais
n'oubliez pas qu'il n'y a pas d'autres moyens pour aller triompher dans
le ciel ; il faut se vaincre, se faire violence, combattre et souffrir :
et violenti rapiunt illud (Matth. xi, 12). Il faut vaincre ou mourir.
Courage donc, foulez aux pieds le respect humain, combattez, résistez
par la force de la foi : fortes in fide, jusqu'à la fin, jusqu'à la
mort.
—
La mort ! c'est le dernier combat, la lutte suprême. Demandez à Jésus,
Marie, Joseph, de venir à votre secours en ce jour-là, à cette heure
décisive, et de vous donner la victoire de l'éternité.
Jésus, Marie, Joseph !
Assislez-moi dans la dernière agonie.
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