Le mois de saint Joseph
14 mars
Source : Livre "Mois de Saint Joseph : composé de trois neuvaines et un triduum pour tous les jours du mois de mars" par Alexis Lefebvre
QUATORZIÈME JOUR
LA JUSTICE
Mais Joseph, époux de Marie, était juste. (Matth, I, 19.)
Saint
Joseph appelé à l'honneur incomparable d'être l'époux de la Vierge
Marie, et le père nourricier de Jésus, devait posséder loutes les
vertus.
Pourquoi donc le Saint-Esprit ne lui donne-t-il que cette qualité d'homme juste ?
C'est que la vertu de justice suppose, ou plutôt renferme toutes les autres.
On peut dire qu'elle est la fidélité même, la sainteté et la perfection.
Dieu est juste, dit le prophète David, et il aime la justice : Justus Dominus et justitiam dilexit (Ps. x, 8).
La
justice est la seconde vertu cardinale : elle nous fait une obligation
sainte de donner et rendre à Dieu ce que nous avons reçu de lui.
Dans
ce sentiment du plus noble devoir, saint Joseph a réellement tout donné
à Dieu, à Marie et au divin Enfant ; son dévouement, son travail
constant et sa vie entière.
I.
Nous commencerons par exposer la notion de la justice. II. Nous verrons
ensuite les conséquences pratiques à déduire de cette étude.
I.
Pour le point de doctrine, c'est toujours saint Thomas d'Aquin qui va
nous éclairer. Il définit la justice : Constans et perpétua voluntas
reddendi cuique suum ; une volonté ferme et constante de donner, ou de
rendre à chacun ce qui lui appartient. Ceci est dit, en général, de
toute justice, et peut s'entendre de la probité purement humaine et
morale ; mais nous ne parlons, nous, que de la vertu religieuse, qui
serait comme la probité envers Dieu et le prochain, une sorte
d'honnêteté surnaturelle ; et le principe de cette justice étant
supérieur et immuable, ses effets aussi et ses fruits seront bien plus
précieux, et seuls dignes d'une éternelle récompense.
Je
ne veux pas dire que la justice naturelle et la probité humaine ne
méritent pas nos éloges et notre admiration. Certes ! ces vertus
commencent à devenir si rares dans le monde, qu'on ne saurait trop les
encourager ; mais il ne faut pourtant pas non plus trop les exalter et
en faire parade. Un homme parfaitement honnête, selon le monde, pourrait
manquer absolument de la justice divine, et j'ajoute qu'il ne faudrait
pas même s'y fier bien longtemps, quoique je reconnaisse volontiers,
avec saint François de Sales, qu'il puisse y avoir des hommes qui n'ont
jamais, ou presque jamais, rien fait pour mériter les galères, comme il
le dit, et qui ont fait fort peu de chose pour mériter le ciel. La
sainte Écriture les appelle des hommes stériles : Virum sterilem; ils
n'ont rien fait, rien de bon pour l'éternité.
La
justice est une vertu si grande, que les livres saints semblent
affecter de la confondre avec la sainteté même, comme on le voit dans
une foule de textes sacrés : Justus, ut palma florebit (Ps. xci, 13).
Beati qui esuriunt et siliuntjustitiam (Matth. v, 6). Justi autem in
perpetuum vivent (Sap. vi, 16). Le juste fleurira comme un palmier...
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice... Les justes vivront
éternellement. Nous pouvons assurer qu'il serait facile d'ajouter plus
de cent autres passages semblables.
Mais
il suffira pour résumer toute la partie dogmatique de cet exercice, de
rappeler une parole de l'angélique saint Thomas : Justilia exprimit
cordis rectitudinem : c'est surtout la droiture du cœur qu'il faut
entendre par ce mot de justice.
II.
Si maintenant nous jetons un regard attentif sur le monde, nous
verrons, en gémissant, qu'il n'y a que bien peu de justes devant Dieu ;
et, si nous voulons nous-mêmes rentrer dans notre cœur, nous serons bien
humiliés en reconnaissant que nous n'avons pas été justes en sa
présence. Tout, avons-nous dit, est renfermé dans ce mot : Suum cuique ;
la justice consiste à donner, à rendre à chacun ce qui lui appartient, à
Dieu ce qui est à Dieu, au prochain ce qui lui est dû. Mais que cela
est rare !
1° Voyons d'abord envers Dieu. Que lui devons-nous ?
—
Ego Dominus, je suis le maître, dit-il... et il répète si souvent cette
parole au livre de ses lois suprêmes, qu'on pourrait croire que c'est
comme la signature apposée à ses décrets éternels : moi Dieu : moi le
roi ! Il a donc sur nous et sur toute la création les droits les plus
sacrés les plus inaliénables, les plus imprescriptibles, et sur notre
corps et notre âme le plus haut domaine qui puisse se concevoir ; Nous
lui devons tout ; notre vie entière lui appartient.
Il est notre souverain maître ; nous devons le servir, mais il est aussi notre père, nous devons l'aimer.
Comblés
de ses bienfaits et doués par lui des facultés les plus admirables de
l'intelligence et du cœur, nous sommes obligés de lui rendre l'hommage
de ses dons, et tenus de vivre pour sa gloire et pour son amour.
Nous
devons l'honorer de la substance même de notre être, c'est-à-dire par
toutes les puissances de notre âme et de notre corps, ou de nos sens.
Voilà les droits de Dieu ; le devoir de justice pour tous les hommes... Nous avons tout reçu de Dieu, nous lui devons tout.
Eh
bien ! la plupart des hommes, infidèles à ce devoir sacré, cœurs
ingrats, lui refusent tout ! Mais, pour ne parler que des injustices les
plus criantes, n'est-il pas vrai que l'on commence presque toujours par
donner aux vains plaisirs le plus beau temps de la vie, les années de
la jeunesse, comme si le Seigneur n'y avait aucun droit ? Et puis, on se
réserve de lui consacrer les restes d'un cœur usé et dont le monde même
ne voudrait plus !... N'est-ce pas là une horrible injustice ? Est-ce
que tous les âges n'appartiennent pas à Dieu ? N'a-t-il pas expressément
déclaré qu'il tenait surtout à ce droit des prémices mêmes de la vie ?
Primitifs tuas non tardabis reddere (Exod. xxu, 29); et qu'il ne voulait
pas que l'on donnât ces premières années à son cruel ennemi ? Ne des
annos tuos crudeli (Prov. v, 9).
Mais,
indépendamment de ce droit essentiel et divin qu'un si grand nombre
d'hommes oublient et méconnaissent, il y a une autre sorte d'injustice
et d'improbité qui se commet sans cesse contre le Seigneur, et qui
consiste à lui refuser ce qu'on lui avait promis librement, ce qu'on
avait juré même de lui donner.
On
rougirait de manquer de parole à un homme, on craindrait avec raison de
passer pour un malhonnête et de compromettre son honneur ; et tous les
jours on manque de parole à Dieu même, on oublie les promesses les plus
solennelles, on trahit les serments les plus sacrés ! On s'est engagé au
service de JésusChrist, on a promis d'obéir à sa loi, on a juré de ne
plus l'offenser, et puis, on ne fait rien pour lui, on méprise ses
commandements, on retombe toujours dans les mêmes fautes ; c'est
indigne, c'est manquer d'honneur et de probité ! Ah ! qu'il était bien
autrement fidèle et chrétien ce grand maréchal de France qui, interrogé
un jour par son confesseur, s'il n'avait pas encore commis une faute
dont il avait obtenu un premier pardon, répondit avec un peu de surprise
et de vivacité : « Mais, mon Père, je vous avais promis, et à Dieu, de
ne plus le faire ! je ne manque pas à ma parole ! »
2°
Et maintenant envers le prochain : Suum cuique; il faut aussi nous
examiner et voir si nous n'avons pas manqué à la justice, à la parfaite
équité. Il a droit à sa vie, à sa fortune, à son honneur : Suum cuique.
Vous y tenez, et avec raison, pour vous, mais il a le même droit, il y
tient aussi ; l'avez-vous respecté toujours ?
La vie. — Il y en a tant qui disent : je n'ai ni tué ni volé, et qui font consister en cela l'essence de toute justice humaine.
Or,
quoique cette idée et cette définition singulière et toute personnelle
de l'équité ne soit pas précisément sublime et parfaite, quoiqu'elle
nous semble un peu trop vague et restreinte, il faudrait encore savoir
si c'est bien vrai dans la bouche de ceux qui le disent.
Ils
n'ont pas tué ! soit ; mais ces haines, cette soif de vengeance, et ces
sentiments honteux inspirés par la cupidité et l'impatience d'un
héritage, ces désirs dont on rougit et que l'on n'ose s'avouer, n'est-ce
pas quelque chose qui ressemble à une pensée de mort, à un meurtre
devant Dieu ! Mais, si votre dureté envers les pauvres les a jetés dans
le désespoir, si vous les avez laissés mourir,
vous
serez plus coupables que vous ne croyez... Il y a un saint Docteur qui
dit que, ne pas les secourir, c'est leur donner la mort, les tuer ; Non
pavisti, occidisti. i
Les
biens. — Vous n'avez pas volé ; non ! Voyons pourtant, si dans les
affaires, dans les grandes industries, dans les jeux, voyons s'il n'y a
pas eu quelquefois de petits secrets, des ruses, des indélicatesses même
et des mensonges pour faciliter les affaires, pour aider au succès des
entreprises et assurer les bénéfices les plus clairs, toujours à votre
avantage et au détriment d'un concurrent, d'un ami, d'un parent même. Il
y a, dans ce genre, des choses qui ne seront pas certainement portées
au tribunal de première instance ou de commerce, mais que la conscience
juge, et que Dieu un jour condamnera publiquement par un arrêt terrible
et une sentence éternelle.
L'honneur.
— Sans doute vous n'avez pas à vous reprocher de ces calomnies
abominables qui ravissent la réputation, ce trésor plus précieux même
que la vie ; mais dans le monde, pourtant, que de médisances et de
railleries ! Que de paroles imprudentes ! On dit que les femmes entre
elles se déchirent cruellement ; Il est encore plus affreux peut-être de
voir des hommes sans cœur, par une parole légère, perfide, par un lâche
mensonge de vanité, attaquer, blesser même, et quelquefois perdre,
ravir, tuer l'honneur d'une femme vertueuse, d'une épouse fidèle, d'une
mère chrétienne.
Ah
! mille fois malheur au monde ! où l'on méconnaît, pour ne pas dire que
l'on méprise partout le grand principe de justice et de charité : Ne
faites pas à votre prochain, ne dites pas de votre frère ce que vous ne
voulez pas que l'on fasse pour vous, ou que l'on dise de vous. Dans les
salons dorés, dans ces belles réunions du soir, on lie parle donc pas
seulement de vanités, on s'y entretient souvent du mal et des défauts du
prochain ; et plus je contemple ce monde, celui qu'on appelle le beau
monde, le monde comme il faut, plus j'y vois de ruines, les ruines de
toutes les vertus, et même celles de la probité et de l'honneur. Il y en
a partout, on n'y fait presque plus attention.
Oui,
parmi les chrétiens de nos jours, on en voit bien peu qui méritent la
couronne de justice, bien peu dont la justice soit plus abondante que
celle des païens. Mais vous, aujourd'hui, mon cher lecteur, après cet
examen qui a dû vous humilier devant Dieu, tâchez d'abord de réparer ce
que vous auriez pu faire de tort à Dieu et à votre prochain ;
efforcez-vous, avant de mourir, d'acco mplir ce devoir de haute et
parfaite équité : Ante obitum tuum, operare justitiam (Eccl. xiv, 17). Ce sera pour vous la source même de la paix, et l'espérance de la vie, comme dit la sainte Écriture : Fructus justitise in pace seminatur (sac. m, 18). Opus justi ad vitam (Prov. x, 16).
Mettez ces bonnes et saintes résolutions sous la protection du juste Joseph, en finissant l'exercice par un colloque fervent.
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