Le mois de saint Joseph
12 mars
Source : Livre "Mois de Saint Joseph : composé de trois neuvaines et un triduum pour tous les jours du mois de mars" par Alexis Lefebvre
DOUZIÈME JOUR
LA CHARITÉ
Foi, Espérance, Charité, ce sont trois belles vertus, mais la plus belle c'est la Charité.
(1 Cor.,XIII, 13.)
Il
est donc de foi révélée que la plus belle, la plus grande des trois
vertus théologales, et par conséquent la plus sainte de toutes les
vertus, la plus parfaite, c'est la charité. La charité, l'amour, c'est
la fin, la consommation de la loi, la règle, la seule mesure du mérite
et de la gloire.
Nous ne craindrons pas de dire aussi que c'est la plus grande vertu de saint Joseph.
Il a été saint par sa foi, saint par son espérance, mais bien plus saint par son amour.
On
conçoit de suite qu'après la Vierge Marie, sa glorieuse épouse, et mère
de Dieu, il a dû aimer plus que tous les autres. Il suffit de savoir
les titres qu'il porte, et les relations qu'il a eues avec Jésus, qui
lui donnait le doux nom de père. Et qui donc aurait pu mieux que lui
remplir la loi sacrée d'amour : Diliges !
Mais
aussi, qui pourra jamais dire les tendresses de son cœur pour Jésus,
les dévouements de son âme pour celui qu'il pouvait appeler son enfant ?
Qui
pourrait concevoir ou rendre les communications ineffables, les doux
entretiens de Jésus avec Joseph, quand celui-ci portait l'Enfant dans
ses bras, et le pressait sur son cœur, en le regardant avec transport
!...
Et lorsque ensemble, à Nazareth, ils travaillaient des journées entières, ou qu'ils prenaient leur repas en famille !...
L'âme
se perd dans ces saintes contemplations, il se fait dans le cœur un
grand silence... On croit voir et entendre Jésus, Marie, Joseph ! Oh !
qu'ils s'aimaient !
Nous allons suivre le plan ordinaire : I. Une étude dogmatique sur la Charité ; II. Un examen pratique.
I. Qu'est-ce que la charité, l'amour ?
—
Il n'est pas facile, mais heureusement il n'est pas nécessaire de
définir ce sentiment affectueux de désir, ce transport de tendresse dans
la possession. Aimer, c'est aimer. La charité est la plus excellente
des vertus théologales parce qu'elle unit plus directement, plus
parfaitement l'homme à Dieu par la vie du cœur ; elle l'atteint
immédiatement, comme dit l'école, etelle va jusqu'à nous transformer en
lui ; car, dit avec raison saint Augustin : Si vous aimez la terre, vous
êtes de la terre : Terram amas, terra es ; mais si vous aimez Dieu, eh ! bien quoi ! Si vous aimez Dieu, vous êtes Dieu ! Deum amas, quid dicam? Deus es...!
Pour bien comprendre l'essence de la charité, méditons notre acte d'amour, cette belle prière : Mon Dieu, je vous aime..., et nous y trouverons la notion la plus vraie de cette vertu ; 1° le terme ou l'objet de notre amour : c'est Dieu ; 2° le motif ou la raison : ce sont ses perfections infinies ; 3° la mesure, par-dessus
toutes choses, de toutes nos forces ; car, dit saint Bernard, il ne
peut pas y avoir de mesure dans l'amour d'un Dieu : Modus amandi Deum est amare sine modo.
Or
cette vertu est si nécessaire que, sans elle, on n'est rien, on ne peut
rien : Nihil sum, nihil mihi prodest (I Cor. xni, 23)) et d'autre part,
les effets de la charité sont si grands, qu'elle suffit dans l'ordre de
la grâce et de la justice. Un seul acte de charité parfaite répare tout, purifie tout ; Elle justifie le plus coupable des pécheurs ; elle élève, elle embrase, elle transforme l'âme fidèle. C'est la sainteté, la perfection sur la terre ; elle sera le bonheur, la gloire dans les cieux.
Mais
aussi, qui pourra dire les transports et les sacrifices de l'amour
divin ? Il faudrait aimer, aimer beaucoup pour en parler, aimer aussi
pour comprendre : c'est ce que demandait saint Augustin : Da mihi
amantem, et sentiet quod dico.
Rappelez-vous
au moins, mon cher lecteur, quelques paroles des saints, qui ont brûlé
de cet amour, et vous verrez la force incomparable et les douceurs
ineffables qu'il répand dans les cœurs.
—
Saint Paul s'écrie : Qui pourra me séparer de la charité de
Jésus-Christ ? Et il défie le ciel, la terre, la mort et l'enfer de lui
arracher cet amour : Qui nos separabit a charilate Christi (Rom. vin,
35) ?
—
Sainte Thérèse, dans ses exclamations, vous dira les délices, les
langueurs, les larmes et les transports de son âme brûlée par le fer
enflammé de la lance. L'amour, qui est sa vie, l'amour la fait souffrir
et mourir, souffrir toujours, mourir sans cesse.
Vous
apprendrez aussi la nature même et l'essence de la charité vraie, qui
se donne et s'immole, qui ne vit que de sacrifices et de larmes. Car
c'est un doux tyran, l'amour : Dulcis tyrannus amor (saint Ambroise). Ce
feu sacré ne s'entretient qu'avec le bois de la croix. Il faut tout
donner, sans réserve, sans partage, sans retour ; il faut aimer comme
Jésus-Christ a aimé, se donner comme il s'est donné, s'immoler enfin :
Da mihi amantem, et sentiet quod dico.
Mais
hélas ! ne devons-nous pas dire avec saint Augustin : Amor non amatur
?... Non, l'amour n'est pas aimé. Nous voici arrivés au temps annoncé
par le saint apôtre, temps malheureux, où la charité doit se refroidir
sur la terre et dans le cœur d'un grand nombre : Refrigescet chantas
multorum (Matth. xxiv, 12). Nous vivons dans le siècle d'indifférence...
Examinons donc si nous avons encore un peu d'amour pour notre Dieu et
Seigneur Jésus-Christ. Cherchons le moyen de rallumer ce feu sacré dans
notre cœur.
II.
Représentez-vous votre Dieu Sauveur ; il vous regarde avec tendresse et
vous demande, comme à saint Pierre, m'aimez-vous : Amas me ? et, avant
de répondre, réfléchissez un instant, rappelez-vous deux principes aussi
simples qu'incontestables, c'est que les cœurs qui s'aiment ont
nécessairement une même et double action, sympathique et antipathique.
C'est la loi même du mouvement des cœurs ; c'est-à-dire simplement,
qu'on a les mêmes sentiments, les mêmes goûts, les mêmes aversions, les
mêmes répugnances ; en un mot, on aime et l'on n'aime pas les mêmes
choses, principe certain, loi générale, encore une fois, de l'amour.
Or
donc, si vous aimez le Sauveur Jésus, vous devez avoir les mêmes
sympathies et les mêmes antipathies ; vous aimerez ce qu'il aime, vous
aurez horreur de tout ce qui lui déplaît... Maintenant, répondez !
—
D'abord, avez-vous horreur du péché, du péché mortel surtout qui lui
déplaît infiniment, qui l'outrage et lui donne la mort ?... Avez-vous
horreur du péché véniel qui le contriste toujours, et qui a pour effet
direct de diminuer son amour dans les cœurs ? Ah ! vous n'oseriez pas
dire que vous aimez Dieu, vous qui le crucifiez si souvent dans votre
âme, pécheurs, ingrats pécheurs !... Ni vous non plus, serviteurs
infidèles, amis inconstants, qui ne cessez par vos fautes, que vous
appelez vénielles, de percer son divin Cœur avec la couronne d'épines
cruelles !
Non,
vous ne l'aimez pas, puisque vous ne craignez pas de le blesser, et que
vous ne cessez de faire ce qui lui déplaît infiniment.
Et
maintenant, aimez-vous ce qu'il aime ? Trouve-t-il quelque sympathie en
vous : la conformité de pensées, de sentiments, de langage ?... Y
a-t-il quelque rapport ou ressemblance entre les caractères, entre votre
vie enfin et celle de votre Dieu ? Répondez-donc, et jugez vous-même.
La
sympathie d'esprit ou la conformité des mêmes pensées fait comme la
base de la vie intime des âmes, parce qu'on aime à se dire, à se
communiquer ses idées et ses plus grands secrets... Avez-vous cette
union avec Jésus ? Mais ce serait la prière ; aimez-vous la prière ?...
Aimez-vous à vous entretenir avec votre Dieu ? Allez-vous quelquefois le
voir, le visiter ?
Sympathie
de cœur ou de sentiments, principe de l'amitié sincère, source des
intelligences de deux âmes, qui goûtent ensemble les joies ou les
douleurs !... Avez-vous cette vie commune avec Jésus ? Ce serait
évidemment le goût des choses célestes, de la parole divine, de sa grâce
et des sacrements qui nous la communiquent... Aimez-vous les choses
pieuses ? la divine Eucharistie surtout ? Vous voit-on souvent au pied
des autels, à la table sainte ?
Enfin
sympathie et conformité de langage. La bouche parle de l'abondance du
cœur ; si votre cœur est plein comme celui de Jésus-Christ, il doit
parler comme ce divin Cœur.
Mais hélas ! n'y a-t-il pas opposition plutôt et contradiction entre vos paroles et celles de ce bon maître ?
Assurément
le monde ne parle pas comme l'Évangile. Vous aimez le monde ; vous
parlez comme le monde, et Jésus-Christ ne l'aime pas, il le condamne, il
le maudit... Déjà vous n'oseriez plus dire que vous aimez Dieu !...
Mais
il y a encore un moyen plus sûr et plus facile de décider la question ;
il suffit d'interroger les œuvres de la vie : ce sont les œuvres
surtout qui sont la vraie preuve et la règle infaillible de l'amour ; et
l'œuvre par excellence de l'amour, c'est le sacrifice ; c'est là sa
vie, son bonheur même : souffrir pour celui qu'on aime, c'est le sort le
plus digne d'envie. Aussi Jésus qui nous a aimés infiniment, a-t-il
voulu souffrir, mourir pour nous, et mourir sur la croix , il y est mort
avec joie, dit l'Apôtre : Proposito sibi gaudio, sustinuit crucem
(Hebr. Xii, 2). Dilexit me, et tradidit semelipsum pro me (Galat. u,
20).
Ah
! si nous l'aimions, nous le lui prouverions bien, nous travaillerions
pour lui : Omnia vestra in charitate fiant (I Cor. xvi, 14), toutes nos
actions seraient animées de cet esprit de charité ; mais surtout nous
souffririons pour Notre Seigneur, pour sa gloire et pour son amour. Les
plus grands sacrifices mêmes ne pourraient plus nous coûter ; ainsi que
saint Augustin l'a dit et éprouvé, dès que son cœur fut dominé par ce
doux tyran d'amour, Dakis tyrannus amor, et entraîné par ce poids
mystérieux, Amor meus, pondus meum !
Car,
c'est dans le transport même de la joie du sacrifice, qu'il a écrit
cette sentence qu'on ne peut jamais trop répéter, ni jamais assez
méditer : Ubi amatur non laboratur, mit si laboratur, labor amatur :
Quand on aime on ne souffre pas, ou si l'on souffre, on aime à souffrir.
L'auteur
de l'Imitation a exprimé la même pensée, peut-être avec moins de
bonheur, mais avec autant de force et de précision : Amor non sentit
onus; amans currit, volât et lsetalur... L'amour ne sent pas la peine ;
quand on aime, on court, on vole, on est heureux ! Eh bien ! maintenant,
répondez à Jésus-Christ. Il vous demande si vous l'aimez : Amas me ?
Vous
terminerez cet exercice en vous humiliant devant Dieu, et vous
demanderez, par l'intercession de saint Joseph, la grâce, fruit de notre
méditation, un tendre amour pour Notre Seigneur Jésus-Christ.
Je
vous conseille de répéter souvent, pendant le cours de cette journée,
votre acte de charité ; mais lentement et de manière à bien goûter
chaque parole... Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, etc.
—
Ou, si vous le préférez, vous pourrez dire celui de saint Ignace, comme
il se trouve au livre des exercices et à la fin de la contemplation de
l'amour de Dieu, sujet admirable de méditation, d'où nous avons tiré la
plupart des pensées que vous venez de lire.
Voici cet acte d'amour :
Recevez,
ô Seigneur, l'offrande de tout mon être. Acceptez ma mémoire, mon
entendement, ma volonté. Tout ce que j'ai, tout ce que je possède, c'est
vous qui me l'avez donné ; c'est à vous que je le rends en entier :
tout est à votre disposition, à votre bon plaisir. Votre amour, votre
grâce, donnez-moi cela seulement, et je suis assez riche, et je ne
demande rien de plus.
Ainsi soit-il.
Suscipe,
Domine, universam meam libertatem. Accipe memoriam, intellect um, a
tque voluntatem omnem. Quidquid habeo, vel possideo, mihi largitus es :
id tibi totum restituo, ac tua; prorsus voluntati trado gubernandum.
Amorem tui solum cum gratià tuâ mihi dones, et dives sum satis, nec
aliud quidquam ultra posco. Amen.
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