Le mois de Marie l'Immaculée Conception
8 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
VIIIe MÉDITATION.
Reine conçue sans péché, priez pour nous !
Méditons
avec une nouvelle attention et un plus grand respect encore ce mystère
de Marie et de sa pureté toujours immaculée : c'est le mystère de
l'humanité ; c'est l'une des origines de l'Incarnation ; c'est l'un des
nœuds de l'histoire éternelle du genre humain, c'est-à-dire du plan
providentiel de Dieu, conçu de toute éternité pour le salut des
créatures et la glorification de son œuvre.
Nous allons lire et méditer ce qu'a écrit l'admirable saint François de Sales sur le plan de la providence surnaturelle de Dieu.
Tout
ce que Dieu a fait est destiné au salut des hommes et des anges ; mais
voici l'ordre de la Providence à cet égard, selon que, par l'attention
aux saintes Écritures et à la doctrine des anciens, nous le pouvons découvrir et que notre faiblesse nous permet d'en parler.
Dieu
conçut éternellement qu'il pouvait faire une quantité innombrable de
créatures en diverses perfections et qualités, auxquelles il se pourrait
communiquer ; et, considérant qu'entre toutes les façons de se
communiquer il n'y avait rien de si excellent que de se joindre à
quelque nature créée, en telle sorte que la créature fut comme entée et
insérée en la Divinité, pour ne faire avec elle qu'une seule personne,
son infinie bonté, qui par soi-même est portée à la communication, se
résolut et détermina d'en faire une de cette manière, afin que, comme
éternellement il y a une communication essentielle en Dieu, par laquelle
le Père communique toute son infinie et indivisible divinité au Fils en
le produisant, et le Père et le Fils, ensemble produisant le
Saint-Esprit, lui communiquent aussi leur propre et unique divinité, de
même cette souveraine douceur fût aussi communiquée si parfaitement hors
de soi à une créature que la nature créée et la divinité, gardant
chacune leurs propriétés, fussent néanmoins tellement unies ensemble qu'elles ne fussent qu'une même personne...
Ainsi,
la souveraine Providence faisant son éternel projet et dessein de tout
ce qu'elle produirait, elle voulut premièrement et aima, par une
préférence d'excellence, le plus aimable objet de son amour, qui est
notre Sauveur, et puis, par ordre, les autres créatures, selon que plus
ou moins elles appartiennent au service, honneur et gloire de ce même
Sauveur.
Ainsi
tout a été fait pour ce divin homme, qui, pour cela, est appelé l'aîné
de toute créature, possédé par la divine majesté au commencement de ses
voies, avant qu'elle fit chose quelconque, créé au commencement avant
les siècles ; car en lui toutes choses sont faites et toutes choses sont
établies en lui, et il est le chef de toute l'Église, tenant en tout et
partout la primauté ; et comme on ne plante principalement la vigne que
pour le fruit, partant le fruit est le premier désiré et prétendu,
quoique les feuilles et les fleurs en précèdent la production. Ainsi
le grand Sauveur fut le premier en l'intention divine, et en ce projet
éternel que la divine Providence fit de la production des créatures ; et
en contemplation de ce fruit désirable fut plantée la vigne de
l'univers et établie la suite des générations, qui, comme feuilles et
fleurs, le devaient précéder comme avant-coureurs et préparatifs
convenables à la production de ce raisin que l'épouse sacrée loue dans
les cantiques, et dont la liqueur réjouit Dieu et les hommes
(Traité de l'Amour de Dieu, livre II, chap. 5).
Dieu
avait mêlé de telle manière l'amour originel avec la volonté de ses
créatures que l'amour ne forçât point la volonté, mais lui laissât sa
liberté ; et il prévit qu'une partie, mais la moindre, de la nature
angélique, quittant volontairement le saint amour, perdrait par
conséquent la gloire. Mais il y avait cette différence entre la nature
angélique et la nature humaine que la nature angélique ne pourrait faire
ce péché que par une malice expresse, sans tentation ni motif
quelconque qui la put excuser, tandis que la nature humaine était une
nature faible, un souffle qui passe et ne
revient pas, soumise à la surprise et à la tentation
» (Traité de l'Amour de Dieu, livre II, chap. 6).
C'est
pour cela que la chute des anges fut absolue et sans réparation ; mais
celle de l'homme, quoique irréparable en elle-même et par l'homme même,
fut réparée par l'infinie miséricorde et par l'immense amour de Dieu.
Mais c'est ici qu'il faut bien comprendre le mystère de la chute et de la Rédemption.
Nous
entendons dire quelquefois : Comment Dieu a-t-il pu créer s'il
prévoyait que son œuvre serait vaincue par le mal et que la plus grande
partie de sa création en serait la proie éternelle ?
Mais où voit-on que l'œuvre de Dieu ait été vaincue par le mal ?
L'œuvre
de Dieu, telle que Dieu la conçoit de toute éternité, c'est avant tout
l'Homme-Dieu, en vue de qui le reste a été fait, l'Homme-Dieu, qui est
le fruit même de toute la création, et en comparaison de qui tout le
reste n'est rien, car il est d'une valeur infinie ! Or cet Homme n'a jamais été vaincu par le mal, mais l'a vaincu.
L'œuvre
de Dieu, c'est en second lieu la Mère de l'Homme-Dieu, qui, à elle
seule, l'emporte en excellence et en valeur sur tout le reste des
créatures. La Mère de Dieu n'a jamais été vaincue ni touchée par le mal
en aucun sens.
Ensuite,
l'œuvre de Dieu, c'est cette grande et principale partie de la nature
angélique qui a repoussé le mal et qui a librement choisi l'amour.
L'œuvre
de Dieu, c'est encore cet immense nombre d'âmes qui, n'ayant passé sur
la terre que quelques jours ou quelques heures, n'ont pas péché
personnellement, et que le seul péché d'Adam a privées de la sainteté et
de la grâce originelle, mais à qui le Sauveur l'a rendue.
L'œuvre
de Dieu, c'est cette autre multitude d'âmes qui ont péché
personnellement, mais que le Rédempteur a sauvées en y faisant
surabonder la grâce.
Enfin, pour créer ces innombrables légions d'âmes et d'esprits libres choisissant Dieu avec amour
et liberté, comme Dieu même les avait choisis, il les fallait bien
créer libres. Il fallait donc nécessairement qu'il fût possible que
plusieurs de ces esprits et de ces âmes n'aimassent point Dieu et ne le
choisissent pas. Mais leur choix libre contre Dieu les rend d'une valeur
sans comparaison moindre que le moindre des esprits glorifiés, et l'on
pourrait même dire que tous ensemble, presque annulés par leur pente au
néant, ne sont rien, comparés au dernier des élus.
Où donc voit-on que l'œuvre de Dieu a été vaincue par le mal ?
La
partie de la création qui n'est pas restée dans l'amour, si on la
compare à la cité de Dieu, n'est qu'une fumée et comme une ombre vide et
vaine ; le reste est le corps de la création destiné à l'amour éternel.
Voilà
le mystère de la chute. Mais le mystère de la Rédemption demande
d'autres éclaircissements. Il faut connaître la coopératrice de la
Rédemption, qui est justement notre Reine, conçue sans péché, pendant
que la cause, le principe et l'auteur de ce sublime ouvrage, est notre Dieu lui-même et notre Roi.
Dieu,
continue saint François de Sales, prépara pour sa très-sainte Mère une
faveur digne de l'amour d'un Fils, qui, étant tout sage, tout puissant
et tout bon, se devait préparer une mère à son gré. Il voulut donc que
sa rédemption lui fut appliquée par manière de remède préservatif, afin
que le péché, qui s'écoulait de génération en génération, ne parvînt
point à elle ; de sorte que cette Mère sacrée, comme toute réservée à
son Fils, fût par lui rachetée, non-seulement de la damnation, mais
aussi de tout péril de damnation, lui assurant la grâce et la perfection
de la grâce ; en sorte qu'elle marchât comme une belle aube qui,
commençant à poindre, va continuellement croissant en clarté jusqu'au
plein jour. Rédemption admirable, chef-d'œuvre du Rédempteur, et la
première de toutes les rédemptions, par laquelle le Fils, d'un cœur
vraiment filial, prévenant sa Mère en bénédictions de douceur, la
préserva non-seulement du péché, comme les anges, mais aussi de tout
péril de péché et de tous les divertissements et retardements de
l'exercice du saint amour. Aussi proteste-t-il que, entre toutes les
créatures raisonnables qu'il a choisies, cette mère est son unique
colombe, sa toute parfaite, sa toute chère bien aimée, hors de toute
proportion et de toute comparaison » (Traité de l'Amour de Dieu, livre
II, chap. 6).
Voici donc quel a toujours été l'éternel plan de l'univers :
Un
Soleil de justice, de vérité, de sainteté éclairant tout, vivifiant
tout de sa lumière divine. Ce soleil, c'est le Verbe qui devait
s'incarner au milieu des temps ; mais c'est aussi la Mère du Verbe, qui
lui est parfaitement unie, qui est en lui pendant qu'il est en elle ;
qui la revêt pendant qu'elle en est revêtue, qui le porte en son sein,
mais qui en est enveloppée et couronnée, qui est enfin cette femme
revêtue du Soleil dont parle l'Esprit-Saint : deux âmes humaines en une ;
deux âmes toujours immaculées ; deux personnes, l'une incréée, l'autre
créée ; l'une hypostatiquement unie à son
humanité, et l'autre unie à Dieu par la plénitude de la grâce. Tel est
le centre et le fondement immobile de l'œuvre de Dieu. Mais à ce cœur du
monde viennent s'unir des milliers d'autres cœurs et d'autres âmes qui
s'y rattachent après une chute et une épreuve ; qui, après avoir voyagé
dans le temps, dans l'exil, dans les vicissitudes, ont retrouvé enfin
leur centre, le foyer de la lumière pleine, de l'amour plein, le lieu de
l'éternel repos ; qui, par amour, par libre choix, par souffrance,
travail et combat, reconquièrent leur patrie, trouvent le Père du monde,
la Mère du Verbe et de l'humanité, le frère, l'ami, l'époux des âmes,
principe et modèle absolu de tout amour, de toute force, de tout courage
dans les combats et les souffrances qui vont au ciel. Telle est l'œuvre
de Dieu.
Et,
en dehors de la sphère immense de lumière que remplit l'auréole du
soleil, ses rayons chassent et dissipent, comme une ombre et une fumée
vaine, la légion méprisable et coupable des esprits vides d'amour et
pleins de ténèbres, qui ont voulu rester chacun en soi et contre tous, et en dehors de Dieu.
O
mon Dieu, je croirai maintenant davantage à la réalité de ce Soleil
central de justice et de vérité, de vie, d'amour, qui est le Ciel, ainsi
qu'à la réalité de ces ténèbres extérieures, qui sont l'enfer. Je
comprendrai que, semblable à ces astres errants dont parle saint
Jacques, je gravite vers le Ciel, mais que je puis, comme eux, emporté
par ma pente et par mon faux élan, sortir de ma sphère d'attraction pour
me perdre dans l'abîme sans fond. Je comprends la vie de mon âme
toujours en lutte entre ces deux forces contraires, que connaissent tous
les hommes par leurs effets, mais dont la cause ne leur est pas assez
connue. Et comment ne serais-je pas toujours attiré par ces deux forces ?
Se peut-il que le Ciel n'attire pas ? c'est l'une des forces. Et se
peut-il que mon inertie, dans le rapide tourbilon du temps, ne m'emporte
pas loin du Ciel ? c'est l'autre force. Se peut-il que les esprits paisibles
et lumineux qui nie regardent dans ma lutte ne m'attirent pas par leur
prière et leur amour ? Et se peut-il que la contagion des méchants,
l'esprit de négation, de révolte et de séparation , l'esprit d'orgueil,
d'égoïsme et de sensualité ne m'entraîne pas, tant que je ne l'aurai pas
vaincu et rejeté hors de mon cœur par mon choix libre ? Je connais
maintenant le sens des deux attraits. Je saurai discerner dans mon âme
leurs mouvements contraires, et mettre du côté du Ciel, qui m'attire, le
poids de mon amour ; car, comme le dit saint Augustin, mon amour est mon poids.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire