Le mois de Marie l'Immaculée Conception
7 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
VIIe MÉDITATION.
Reine conçue sans péché, priez pour nous !
Mais qu'est-ce donc que le mystère de Marie ? Qu'est-ce que sa conception immaculée ?
Voici plusieurs comparaisons qui en feront comprendre quelque chose.
L'humanité
est un ensemble solidaire, un tout qui, quoique composé de tant de
multitudes, n'a, en un sens, aux yeux de Dieu, qu'un cœur, une âme et un
même sang. Lorsque le mal du premier péché infecta toute cette masse et
la précipita dans l'égoïsme et le vertige de la concupiscence, Dieu
voulut préparer pour le monde un germe et une racine de grâce et de
salut. Ce germe, en qui toutes les générations seront bénies, c'est le
Verbe fait chair. Mais Dieu a préparé au Verbe un point pur par où il
pût entrer dans l'humanité ; ce point immaculé, c'est le point virginal
du monde des âmes, c'est la Vierge conçue sans péché.
Ce
privilège appartient à Marie, mais c'est un privilège pour tous. Dieu,
pour rallumer un jour la lumière et l'amour divin en toute l'humanité,
qui s'éteignait dans les ténèbres et dans le mal, Dieu a voulu préparer
au Soleil de justice un sanctuaire au sein de l'humanité.
La
Vierge , Reine de l'humanité, est, après Jésus-Christ, le centre et le
cœur du genre humain. Ne l'oublions jamais : l'humanité tout entière est
un corps, « Nous sommes tous un même corps » (rom., XII, 5), dit saint
Paul. Or cette unité humaine a un cœur. Ce cœur, c'est l'âme de
Jésus-Christ qui s'est unie l'âme de Marie. Marie est le côté purement
humain du cœur de cette humanité régénérée ; Jésus en est le côté à la
fois divin et humain. Cette âme, ou plutôt ces deux âmes, centre des
âmes, ces deux âmes que la souillure originelle n'a pas atteintes, sont
devenues, pour le monde, le germe de la vie nouvelle.
Que de choses à dire sur cet admirable sujet !
L'âme
de Jésus et l'âme de Marie, deux âmes en une, sont le cœur de
l'humanité. Si l'on savait ce qu'est un cœur, même ce cœur matériel et
visible qui est le centre du corps humain ! Le cœur est le principe de
la vie ; il vivifie incessamment tous nos membres, qui tendent par
eux-mêmes à la mort. Il n'y a pas un seul moment où chacun de nos
membres ne meure, et, par lui-même, n'épuise la vie et ne coure à la
mort ; mais le cœur, principe de la vie, ne cesse pas un instant non
plus de réparer cette perpétuelle décadence. Il envoie, par chacun de
ses battements, la vie à chacun des membres du corps, et il retire en
même temps de chacun les germes de mort qui s'y accumulaient. Chaque
battement de cœur est double et se compose de deux mouvements : l'un des
deux retire des organes le sang éteint, pendant que l'autre y lance le
sang vivant. C'est que le cœur lui-même est double ; il y a comme deux
cœurs en un : l'un plus actif et l'autre plus passif, l'un qui envoie la
vie et l'autre qui reprend la mort pour faire place à la vie. L'un
vivifie, et l'autre purifie.
Tel
est aussi, au milieu de l'humanité régénérée, le rôle du cœur, de ce
cœur composé de deux âmes vivant en une, l'âme de Jésus et l'âme de
Marie. L'âme de Jésus est le côté vivifiant du cœur du monde, et l'âme
de Marie, par la grâce de Jésus, est le côté par où ce qui est mort
court vers la vie. Elle porte à Celui qui est la vie même le sang mort
de l'humanité, afin que la vie s'y verse, et que Jésus le renvoie au
monde, vivant et divinisé. Le Verbe, en s'incarnant, a divinisé le sang,
mais c'est la Vierge qui a donné au Verbe la matière à diviniser.
Peut-être
comprendra-t-on mieux une autre comparaison tirée de ce qui se passe au
ciel, au milieu des étoiles, dans l'ensemble des mondes créés de Dieu.
Sachez
donc que toute la matière des mondes, quelque forme qu'elle ait, si
dispersée qu'elle soit, est un ensemble, un tout, ayant un centre de
gravité commun(1).
(1)Salazar et plusieurs autres théologiens ont appliqué cette comparaison à la sainte Vierge.
Nous
en sommes certains, et c'est une vérité mathématique : il y a un centre
de gravité de l'univers, et ce centre de gravité, relativement à toute
la masse, est toujours et nécessairement immobile. Tous les cieux
tournent autour de lui ; toutes les étoiles, tous les groupes de soleils
se meuvent autour de ce centre immobile. Et n'est-ce pas ce dont chaque
nuit nous présente une image, quand nous voyons l'étoile polaire seule
immobile au milieu des étoiles qui tournent ?
De
même donc qu'il existe un centre de gravité de l'univers visible, point
d'appui mécanique des mondes, immobile, d'une immobilité mathématique
et absolue, au sein de tous les mouvements et de toutes les
perturbations, troubles et révolutions que la matière universelle a
éprouvés ou éprouvera jamais ; point central qu'un illustre astronome
appelle le trône de Dieu, autour duquel marchent toutes les étoiles ; de
même il est un point, centre de gravité de l'univers moral, céleste
point d'appui des âmes, immobile, immaculé, au milieu des agitations et
des perturbations du mal et de l'erreur. Ce point, c'est le Verbe incarné,
mais auquel est uni inséparablement un autre point, le point virginal
du monde des âmes, que la sainte Écriture appelle « le trône de Dieu et
la femme couronnée d'étoiles. » Le centre est double, comme est double
le centre même du cercle géométrique.
Voici encore une autre comparaison empruntée à la connaissance de l'esprit humain.
Croyez-vous
que l'esprit humain soit entièrement faillible, toujours, sans
exception ou absolument infaillible ? Ni l'un ni l'autre assurément.
L'erreur se glisse dans nos pensées et dans nos facultés. Néanmoins
saint Thomas d'Aquin et Bossuet, pour n'en pas citer d'autres,
enseignent qu'au fond de la raison il y a un point infaillible ; sans
quoi, remarquez-le, notre esprit serait irréparablement privé de
certitude. Si ma raison était faillible, toujours, en tout, sans
exception, rien ne serait certain, pas même mon existence, ni celle de
Dieu, ni celle du monde, ni celle de la Révélation. Il y aurait un abîme
absolu, éternellement infranchissable, entre l'esprit de l'homme et
toute vérité. Mais il y a, en effet, au fond de la raison, une opération
première et centrale qui ne trompe point. « Là l'erreur n'entre point, »
dit saint Thomas d'Aquin ; et Bossuet s'écrie dans
ses Élévations sur les Mystères : « O mon âme, écoute dans ton fond !
n'écoute pas à l'endroit où se forgent les fantômes ; écoute à l'endroit
où la vérité se fait entendre, où se recueillent les pures et simples
idées. » Ce sanctuaire, ce fond où brille la vérité, c'est le point
virginal de l'esprit.
De
même l'humanité entière a son point virginal : c'est la Vierge conçue
sans péché, ou, pour mieux dire, c'est la Vierge unie à l'humanité du
Sauveur. Dieu s'était réservé ce sanctuaire, ce tabernacle immaculé, au
sein de l'humanité déchue. Au fond de la masse dégradée est restée, par
la grâce préservatrice du Sauveur, une fibre saine réserve de Dieu
contre le mal. Voilà le mystère de Marie et de sa conception immaculée.
Et si ce grand mystère est comme inscrit d'avance dans la nature de la
raison, dans la vie physique de nos cœurs, comme dans la vie du ciel
visible et les mouvements des étoiles ; est-ce à
dire que ce beau mystère n'est plus alors que la suite nécessaire de la
nature des choses ? Bien loin de là. C'est, au contraire, une preuve de
plus que Dieu, à qui toute son œuvre est présente de toute éternité,
qui conçoit en même temps les deux mondes, celui de la nature et celui
de la grâce, et qui n'a créé le premier que pour arriver au second, a
trouvé bon de créer le premier comme image et figure de l'autre, de même
que l'ancien Testament est la figure de la loi de grâce, éternel
Testament.
Mon
Dieu ! j'aimerais vivre toujours dans la lumière de ces grandes vérités
; mais qu'il est rare qu'une seule étincelle de lumière entre dans mou
esprit ! Je ne m'en étonne pas. Je pense à tout, sauf à la vérité. Je
donne mon temps à tout, sauf à l'étude de la religion et de ses
admirables mystères. Je ne refuse point au sommeil un grand tiers de ma
vie. Je ne refuse point à mon corps, pour le nourrir, plusieurs heures
de ma vie éveillée. Mais qui est-ce qui donne chaque jour une demi-heure
à méditer la vérité ? Quand s'est-il fait dans mon âme, pour écouter
Dieu, un silence d'une demi-heure, selon le mot de la sainte Écriture ?
Si quelquefois ce silence de l'esprit et ce recueillement de l'âme a eu
lieu dans le passé de mes jours, j'en garde longtemps le souvenir, et je
crois voir encore dans la lumière ces solennels moments d'une vie plus
vraie. Et pourquoi ne pas m'efforcer de les retrouver ? Pourquoi ne pas
m'appliquer chaque jour à reposer, pendant une heure, mon âme en Dieu ?
Pourquoi ne pas chercher, par la prière, la divine vérité, la sainte
lumière, dont le moindre rayon vivifie l'âme pour si longtemps, et
éclaire pour toujours l'esprit où il a pénétré ? N'est-ce pas faute de
cette clairvoyance intérieure que trop souvent je n'entends rien aux
livres, aux discours, à l'Évangile, aux vérités que l'Église me propose ?
O
Marie, vous qui êtes le point virginal du monde des âmes, apprenez-moi à
recueillir mon âme vers ce point virginal de mon intelligence et
de ma volonté où la vérité se fait entendre. Soutenez la résolution que
je prends de laisser le dehors de la vie pour en chercher le fond, et
de quitter, du moins pendant une heure de ma journée, l'habitude des
ténèbres extérieures, pour chercher la lumière intime que Dieu verse en
ce centre où l'esprit s'enracine dans le cœur, le cœur en Dieu.
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