Le mois de Marie de l'Immaculée conception
14 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XIVe MÉDITATION.
Reine des Docteurs, priez pour nous !
Reine
des docteurs, priez pour nous ! et, comme nous voulons servir Dieu en
esprit et en vérité, et vous honorer aussi par l'esprit autant que par
le cœur, obtenez, pour ceux d'entre nous dont l'intelligence est ouverte
à la lumière, le bonheur de concevoir quelques-unes des sublimes idées
qui portaient vos docteurs, dans tous les temps, à soutenir avec ardeur
le dogme de votre Conception Immaculée.
Quand
il s'agit de Dieu, les docteurs disent : C'est l'Être tel qu'on n'en
puisse concevoir de plus grand. De sorte que, pour se former quelque
idée de Dieu, il y a une voie aussi simple que sûre : c'est d'accumuler,
dans l'idée qu'on cherche à se former, l'idée de toutes les perfections
possibles, élevées à un degré tel qu'on n'en
puisse concevoir de plus grand. Laissons aller le cœur, l'intelligence
et l'imagination : nous n'irons jamais assez loin ; et quand nous avons
conçu l'être le plus parfait, le plus admirable, le plus aimable, le
plus adorable, que nous puissions concevoir, disons toujours : Ce n'est
rien ; Dieu est infiniment plus parfait que ce que j'entrevois. Ainsi
raisonnent tous les docteurs chrétiens, tous les sages, et leurs
raisonnements ont sur ce point une certitude et une solidité que ne
surpassent en rien les infaillibles certitudes de la géométrie.
De
même, disent les docteurs, il existe un être créé, image de Dieu, dont
en un sens la perfection peut croître toujours et n'a d'autre limite que
l'infini ; mais cette créature, pure image de Dieu, a une pureté telle
qu'on n'en peut concevoir de plus grande au-dessous de Dieu.
Cette
belle idée est de saint Anselme ; c'est lui déjà qui avait dit : Dieu
est l'être tel qu'on n'en puisse concevoir de plus parfait. Parlant de
la sainte Mère de Dieu il dit : C'est une créature telle qu'on n'en
puisse concevoir de plus pure au- dessous de Dieu.
Et
saint Thomas, qui est de tous les philosophes et de tous les
théologiens le plus grand, explique ainsi l'idée de saint Anselme. « La
pureté, dit-il, est l'absence de toute tache ; donc il peut exister en
effet un être créé tel qu'on n'en puisse concevoir de plus pur parmi les
êtres créés. Il suffit pour cela que cet être n'ait pas une seule
tache, et que jamais aucun péché ne l'ait atteint. Or telle est la
pureté de la bienheureuse Vierge, qui a été exempte de tout péché, tant
actuel qu'originel. Seulement sa pureté n'est pas égale à celle de Dieu,
parce qu'elle eut la puissance de pécher, ce que Dieu ne saurait avoir.
Mais si l'on parle de la bonté d'une créature, ajoute aussitôt saint
Thomas, comme la bonté se mesure par son rapprochement plus ou moins
grand au souverain Bien, lequel est infini, il s'ensuit qu'il peut
toujours y avoir une bonté plus grande que toute bonté créée. »
On
le voit, saint Thomas d'Aquin enseigne ici toute la vérité, et il
répond à la difficulté entière. Seulement, pour répondre à la
difficulté, il dit une parole qui, mal comprise, pourrait choquer
l'oreille des chrétiens : c'est que la Vierge a toute la pureté
concevable, et non toute la bonté possible. Mais qu'on l'entende : cela
veut dire seulement que sa perfection peut toujours croître sans jamais
égaler celle de Dieu, et que son auréole n'est pas la lumière infinie
qui est Dieu, ni la gloire infinie. Cette Reine du ciel, revêtue du
soleil, c'est-à-dire de Celui qui seul est la source de l'auréole, de la
lumière et de l'amour des saints, brille comme le soleil, de même que
le Sauveur a dit que les saints brilleront comme des étoiles. Mais le
soleil lui-même remplit-il de sa lumière les espaces infinis ? Non,
certes. Il fut un temps où ses rayons n'atteignaient pas jusqu'à la
terre ; ils s'y élançaient rapidement, traversaient cette distance mille
et mille fois ; mais aujourd'hui encore ils ont un terme. Ce terme
recule avec la vitesse de l'éclair, et presque celle de la pensée, mais
il existera toujours. L'auréole du soleil
grandit sans cesse par élans magnifiques, mais elle aura toujours sa
mesure et son terme, et ne peut pas ne pas l'avoir. Ainsi de l'auréole
des saints et de l'auréole de la Vierge, que saint Thomas nomme ici sa
bonté.
Et
ailleurs, en un autre endroit, saint Thomas avoue que Dieu ne peut rien
créer de meilleur que la sainte Vierge et que l'humanité de
Jésus-Christ. « L'humanité de Jésus-Christ, dit-il, parce qu'elle est un
avec Dieu, et la Vierge, parce qu'elle est mère de Dieu, ont une sorte
de dignité infinie que leur donne le Bien infini, qui est Dieu ; en ce
sens rien de meilleur ne peut être créé, comme il n'y arien de meilleur
que Dieu. » (1 q. XXVI, art. 6 ad 4.)
On
comprend maintenant dans quel sens les saints docteurs affirment qu'il
existe une créature telle qu'on n'en puisse concevoir de plus parfaite,
c'est-à-dire de plus pure.
Il
y a donc, selon eux, dans ce sens, au sein de l'univers créé, la plus
grande beauté, la plus grande perfection que Dieu ait pu produire parmi
les êtres finis. Qu'on ne dise plus que Dieu pouvait créer un monde
meilleur et ne l'a pas voulu. Il faut dire au contraire qu'il en pouvait
créer un moindre et ne l'a pas voulu. Il pouvait d'abord laisser
l'homme dans sa propre nature sans l'élever, par grâce, à la
participation de la nature divine. Il pouvait ne point préparer la
naissance d'une fille d'Adam ayant l'humaine nature, mais sans nulle
tache. C'était changer le plan de l'univers, je le sais ; mais ce plan
pouvait être changé : dans ce cas il n'y aurait pas eu de simple
créature telle qu'on n'en puisse concevoir de plus pure. Mais c'est ce
que Dieu n'a pas voulu. Il a voulu que son œuvre eût ce cachet de
perfection, et que les intelligences et les cœurs ne cherchassent pas en
vain, au-dessous de Dieu, la plus pure des beautés possibles.
Voilà
pourquoi ces docteurs soutiennent avec tant de zèle qu'il y a une
créature sans tache, et que la Reine de l'univers, la Mère de Dieu, qui
est nécessairement, de toutes les œuvres de Dieu, la plus belle après
l'humanité de Jésus-Christ, est aussi d'une beauté parfaite, sans aucune
tache et sans aucun défaut ; qu'elle est pure et sans tache dans sa
vie, pure et sans tache dans son cœur, où jamais la concupiscence n'a
essayé de se soulever ; qu'elle est pure et sans tache dans sa naissance
et dans sa conception. Sans ce dogme il manquerait au monde, ce semble,
le dernier anneau de cette chaîne d'or qui rattache toute la création
au trône de Dieu et au Verbe incarné.
Il
m'est bon, ô mon Dieu, de reposer mon âme sur ces idées de perfection,
et de croire fermement et toujours que toute excellence et toute beauté
concevable existent en vous infiniment, et qu'en outre, dans votre
création, et dans cette humanité que nous sommes, toute la beauté, toute
l'excellence, concevable par nous, existe, et au delà. Quand il s'agit
de vous, il faut ajouter à nos conceptions l'infini. Quand il s'agit de
votre image immaculée, il n'y faut point ajouter l'infini, mais il faut
étendre nos idées de toutes nos forces, et rester bien certains qu'elle
est plus belle encore. O mon Dieu ! puisque le monde est si beau, je
veux ne plus être triste. Je veux me corriger de cette absence
d'admiration, d'adoration, d'enthousiasme, qui est l'une des plus
grandes laideurs de l'homme charnel. Je veux changer en moi, et dans les
autres, si je puis, cette habitude, funeste et détestable, de l'homme
qui se dit prudent ou expérimenté, et qui consiste à rabattre toujours
les pensées qui s'élèvent, pour ne se fier jamais qu'aux pensées qui
s'abaissent. Les pensées qui s'abaissent, je le sais, répondent pour un
moment aux pitoyables réalités qui nous entourent ; mais celles qui
s'élèvent répondent aux saintes réalités qui sont vous-même et votre
ciel, et votre créature immaculée et bien-aimée, notre Mère et notre
Espérance, céleste centre qui attire, pour les rendre à Dieu, d'où elles
viennent, toutes les ardeurs, tous les élans, toutes les splendeurs des
âmes.
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