Le mois de Marie de l'Immaculée conception
22 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XXIIe MÉDITATION.
Vierge prudente, priez pour nous !
Vierge prudente, priez pour nous, et obtenez-nous la prudence qui connaît l'obstacle et l'évite.
L'obstacle
des âmes, ô Vierge prudente, vous l'avez toujours évité. Jamais vous ne
l'avez laissé surgir en vous, jamais le moindre voile n'a été opposé,
ni à l'entrée de la lumière de Dieu en vous, ni à la transmission de sa
lumière au monde ; car vous avez reçu Dieu même, connu Dieu même par le
cœur, par l'esprit, par le corps, et vous avez transmis au monde cette
lumière incarnée.
Si
l'on avait la science de l'âme, on saurait quel est l'obstacle des
âmes, comment toute âme le porte en elle, excepté l'âme immaculée de la
Vierge prudente. On comprendrait comment il faut se conformer à ce
modèle des âmes pour vaincre l'obstacle à tout progrès.
Essayons d'en comprendre aujourd'hui quelque chose.
Saint
Bernardin de Sienne compare votre immaculé cœur, ô Vierge prudente, «
au foyer d'un miroir ardent où se versent de tous côtés les rayons du
soleil ; ce foyer les recueille, conçoit le feu, et enflamme tout ce qui
l'approche. »
On
ne peut rien dire de plus beau pour faire connaître l'âme immaculée de
Marie, sans tache et sans obstacle, concevant Dieu, répandant Dieu, et
féconde par sa virginité.
Car,
si l'on se demande en quoi consiste la vertu de ces merveilleux miroirs
qui conçoivent le soleil, en renferment et en manifestent l'ardeur, on
sait qu'elle tient à ce qu'ils recueillent en un point unique, en leur
centre simple, tous les rayons du soleil qui les frappent. D'autres
miroirs reçoivent les mêmes rayons, mais ne savent pas les recueillir ;
ils n'ont pas de foyer, pas de centre, pas de point simple où tout soit
ramené.
De
sorte que votre prudence, ô Marie, cette prudence qui transfigure votre
âme dans la lumière, consiste à ramener tous les rayons de la vie que
Dieu donne à l'unité, à la simplicité, comme il est dit de la céleste
Jérusalem, dont vous êtes la Reine et le centre, que c'est une ville où
tout se ramène à l'unité.
Et
je ne m'étonne pas de la souveraine importance de cette simplicité et
de cette unité dans la vie de l'âme, puisque j'entends le Christ
lui-même distinguer par ce caractère le bien et le mal, la vie et la
mort de l'âme. « Si votre œil est simple, dit-il, tout votre corps sera
lumineux, et sa lumière éclatera pour vous illuminer ; mais, si votre
œil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres » (Luc, XI,
34).
Ces
mystérieuses paroles nous donnent la loi du cœur humain, et nous
enseignent qu'il lui suffit d'être simple et un pour concevoir la
lumière et la répandre, et, au contraire, qu'il lui suffit de n'être pas
simple pour être mauvais et n'engendrer que ténèbres.
Mais comment est-ce que notre cœur peut perche
sa simplicité ? Voici ce qu'enseignent les maîtres : « Malheur au cœur
double ! » dit partout la sainte Écriture. C'est ainsi que s'exprime
l'esprit de Dieu sur la duplicité de l'âme, et les plus profonds
docteurs nous décrivent comme il suit la génération du péché. Il y a
dans l'âme, disent-ils, des forces diverses, et il y en a deux
principales : la force active, qui connaît et décide, et qui doit
gouverner ; et la force passive, qui désire, et qui doit être gouvernée ;
et ces forces doivent n'en faire qu'une.
Il
y a en quelque sorte dans l'âme l'homme et la femme, Adam et Eve ; et
comme il est dit, de l'homme et de la femme, qu'ils sont deux en un, de
même ces deux facultés d'une même âme doivent être deux en une.
Il
faut que l'âme soit simple, c'est-à-dire que ses forces demeurent dans
l'unité, afin que tous les dons et tous les rayons de la vie se
recueillent en ce simple foyer. Mais en est-il ainsi ? Non, certes, car
toutes les âmes sont divisées, toutes sont en lutte. Dans toutes la
force passive qui désire se sépare de la force active qui connaît et décide.
Elle s'en sépare et souvent la divise elle-même, et elle entraîne ses
décisions sans entraîner sa connaissance ; elle laisse la raison seule
d'un côté, et emporte dans une même chute les désirs et la volonté. Mais
croit-on que la partie inférieure de l'âme, le désir, ait pu se
soustraire à l'obéissance de la partie supérieure de l'âme si celle-ci
avait su se tenir à sa place ? Non, car sa place était en Dieu, et les
forces de l'âme ne se divisent que parce qu'elles quittent Dieu.
Si
la partie inférieure de l'âme pèche et quitte Dieu par sensualité, la
partie supérieure pèche aussi et quitte Dieu par orgueil. Si l'une
s'abaisse dans ses désirs, l'autre s'élève dans ses présomptions. Aucune
des deux ne reste au centre simple où l'âme pourrait concevoir Dieu. Le
vrai centre de l'âme est vide, et, au lieu de ce centre simple, l'âme
prend ce double cœur maudit par l'Évangile, cet œil mauvais et sans
simplicité, qui rend ténébreuse l'âme entière.
Le
vrai centre de l'âme reste vide, et l'âme, au lieu de ce centre simple,
prend deux foyers qui se divisent la vie. Dans l'un elle emporte le feu
qui la consume, n'étant ni chaste ni lumineux ; dans l'autre elle
prétend emporter la lumière, et n'en emporte qu'un vain reflet, assez
pour nourrir l'orgueil de l'erreur. Puis, de l'affreux mariage du feu
sombre et mauvais et de la lumière vaine, de l'orgueil et de la
sensualité, ne naissent évidemment que les ténèbres et le péché.
Ces deux foyers sont ce que la théologie nomme la concupiscence, source et suite du péché.
Toutes
les erreurs, toutes les douleurs, tous les fléaux et tous les maux
coulent de cette source : c'est là l'obstacle des âmes.
Voilà
ce qu'enseignent les maîtres, appuyés sur la sainte Écriture. On voit
dès lors, ô Vierge prudente, ce qu'est votre âme et ce qu'est la nôtre.
On comprend qu'il n'est pas possible que l'âme de la Vierge très-pure et
de la Mère de Dieu ait été divisée un seul instant et se soit corrompue
en deux foyers, de manière à tourner la vie de Dieu en orgueil ou en
sensualité. Un seul instant de cette affreuse rupture, c'est la perte de
la virginité. S'il y avait jamais eu en Marie péché originel ou
seulement foyer de la concupiscence, si Marie
n'était pas radicalement immaculée, son âme n'était pas vierge, son
innocence n'était plus qu'une innocence réparée comme la nôtre. Mais
elle est au contraire la Vierge unique, et jamais il n'y eut en elle
aucune trace ni de péché ni de foyer mauvais.
Quant
à nous, comprenons bien l'état de notre vie intérieure. Nulle de nos
âmes n'est absolument simple ni absolument vierge. Toutes portent les
deux foyers d'orgueil et de sensualité, mais plus ou moins développés,
plus ou moins éloignés du centre. En toutes la matière du péché ne cesse
de s'engendrer chaque jour et de fermenter sous l'influence même de la
vie.
Quelle
est donc la ressource de l'âme ? C'est de combattre et de lutter
toujours, pour revenir vers sa simplicité qui est sa perfection, ou du
moins pour s'en rapprocher, ce qui serait, ô Vierge très-prudente,
conformer notre âme à la vôtre, revenir à Dieu et à vous, à Dieu par
vous.
Les
maîtres disent, et notamment saint Augustin, que nous portons en nous
Adam et Eve, que l'un est notre foyer d'orgueil et l'autre le foyer de
sensualité. Pourquoi ne dirions-nous pas aussi que nous portons en
nous, au centre, au sanctuaire, la nouvelle Eve et le nouvel Adam,
c'est-à-dire vous et votre Fils en un ? Et certes il doit en être ainsi
dans les chrétiens qui reçoivent le corps de Jésus, son âme et sa
divinité ; en recevant le Fils ils reçoivent aussi la sainte Mère. comme
le disent les docteurs.
Mais
ces deux hôtes divins de notre âme traversent vite nos puissances
inférieures et les cercles extérieurs de l'âme, et ils vont rapidement
au centre où l'âme devrait se trouver recueillie ; ils y vont afin de
nous y attirer et d'y ramener ces deux forces purifiées, l'une par
l'humilité, l'autre par la chasteté.
Ici est véritablement tout le mystère du progrès des âmes.
O
Marie, priez pour nous ! Que le mystère du progrès des âmes par le
recueillement en vous et en votre Fils Jésus-Christ ; que les moyens du
retour à la simplicité puissante, à la féconde
virginité de l'âme, par l'humilité, la chasteté, soient enfin plus
connus parmi les hommes, et que les biens immenses que ce retour
verserait sur chaque âme et sur le monde entier deviennent visibles à
tous les yeux.
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