Le mois de Marie de l'Immaculée conception
11 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XIe MÉDITATION.
Reine revêtue du Soleil, priez pour nous !
Méditons
le titre glorieux et surprenant que le disciple bien-aimé, saint Jean,
inspiré par Dieu même, donne à la sainte Vierge, devenue sa mère par la
parole du Sauveur en croix.
Saint
Jean, dans la vision de Pathmos, s'écrie : « Un grand signe a paru dans
le ciel : la femme, revêtue du soleil, ayant la lune sous ses pieds, et
sur sa tête une couronne d'étoiles. Elle porte un Fils dans son
sein..., un Fils qui doit régner sur tous les peuples » (apoc, XII).
La
femme qui enfante le Roi des nations, c'est la Vierge. C'est donc elle
qui est aussi la femme revêtue du soleil. Mais qu'est-ce que le soleil,
si ce n'est le Soleil de justice, le Verbe de Dieu ?
Ces
grandes paroles, tirées de la sainte Écriture, nous représentent le
monde invisible des âmes sous l'image du monde visible des astres. Et il ne saurait y avoir de symbole à la fois plus beau et plus vrai.
Les
astres vivent par groupes et sont unis entre eux par d'invisibles
liens, qui forment de tous une indissoluble unité. Ainsi des âmes. Les
âmes aussi sont unies par d'invisibles liens ; toutes se tiennent en
Dieu, toutes s'attirent et se portent.
Mais
les astres voyageurs ont un centre, un centre dont ils viennent et dont
ils sont les fils. Dieu les fit naître, chacun en leur temps, de la
source commune. Ainsi des âmes, dans l'ordre de la grâce. Il y a un
premier couple dont toutes descendent : c'est le couple sacré, divin et
humain, le Père des âmes et la Mère des âmes.
Mais
les astres tournent autour de ce centre qui est en repos, et tous
reçoivent de lui la vie, la lumière, la chaleur. Ainsi des âmes. Toutes
sont en mouvement autour du centre qui les porte, et toutes reçoivent de
lui la lumière, la chaleur et la vie.
Or
le centre des astres est lui-même un globe, de même matière et de même
nature que les autres ; seulement ce monde central est revêtu
de lumière, tandis que les autres mondes n'en sont pas revêtus.
Ainsi
des âmes. Il n'y en a qu'une seule qui soit revêtue du soleil. Les
autres vivent dans la lumière extérieure du soleil, en dehors de cette
auréole dont elle occupe, elle seule, l'intérieur et le centre.
Et je lis toute l'histoire des âmes dans ce symbole.
Jamais
encore on n'a su comparer, comme il faut, l'état des âmes dans leur
voyage du temps à l'état de nos demeures terrestres. Les mondes qui
voyagent autour du soleil sont le symbole précis et admirable de l'état
de nos âmes dans cette vie.
Descendez dans votre âme , pour la regarder dans cette lumière. Que voyez-vous ?
Je
vois d'abord que mon âme est toujours empressée, jamais en repos, elle
tend et elle aspire sans cesse à autre chose ; elle tend et elle aspire
sans cesse à quelque état meilleur, à quelque vie plus grande. Mon âme
est toujours eu mouvement, mon âme est voyageuse comme la terre
qui nous porte. Mon âme attend toujours son lendemain, et se hâte de
traverser les jours pour arriver à quelque jour meilleur. La terre, qui
court si vite, ne va pas plus vite que mon âme. De ces deux voyageuses,
mon âme est la plus empressée ; c'est elle qui bien souvent voudrait
hâter la marche du vaisseau, et qui s'écrie, comme le Prophète, par son
désir ou sa prière : Seigneur, pressez le temps, hâtez la fin.
Mais
mon âme, qui désire toujours mieux, s'avance-t-elle dans une clarté
croissante ? Va-t-elle d'une course droite vers la vie, la lumière, le
bonheur, la justice et la vérité ? Oh ! non. Si quelque chose est
manifeste en moi, c'est la vicissitude. Les plus douces, les plus vives
lumières sont suivies des plus pénibles obscurités, des ténèbres les
plus profondes. Mon âme va donc aussi et du jour à la nuit, et de la
nuit au jour, comme notre terre. Plus mon esprit travaille et s'agite
vers la Vérité, plus il voit que le jour semble appeler la nuit et que
la nuit appelle le jour. Mon âme voit venir en elle des aurores ; ces
aurores grandissent jusqu'au jour, et ces jours sont tantôt radieux et
tantôt couverts de nuages. Mais à peine ont-ils atteint la clarté du
midi que l'on sent la lumière, toujours instable, déjà décroître,
redescendre jusqu'au crépuscule , et faire place à la nuit.
Mais,
dans la vie de mon âme, non plus que dans l'année terrestre, ce n'est
pas un vain mouvement qui nous emporte de jour en jour.
Car,
à travers ces vicissitudes de lumière et de nuit, mon âme, si elle ne
contrarie sa loi par l'abus de sa liberté, mon âme, qui avance dans la
vie, sent décroître les nuits et voit les jours grandir. Elle sent que
la marche est utile et que le mouvement tend à un but. Les dons de la
vie se développent en moi. Les fleurs commencent ; puis viennent les
fruits, d'abord les moindres, ensuite les plus précieux ; les deux
grands aliments de l'homme sont les derniers. Mais déjà, pendant que les
fruits continuent à mûrir, déjà, depuis longtemps, les jours
décroissent. Mon âme ne reçoit déjà plus la même plénitude de lumière,
la même surabondance de sève, les mêmes ardeurs, les mêmes splendeurs.
Elle sent avec étonnement, malgré tous ses
efforts, la vie décroître fatalement. Elle comprend que le terme
s'approche et que la mort doit survenir. Alors elle replie ses rameaux,
se recueille peu à peu vers le centre, et, comme les plantes qui ne
vivent qu'une année, qui laissent périr tout ce qu'on voit, qui se
recueillent sous terre dans leurs racines pour attendre un nouveau
printemps, mon âme aussi quittera toutes les choses visibles ; elle
quittera son corps et tous ses développements terrestres, et se
recueillera en Dieu, dans son inexterminable racine, pour attendre du
Père un second appel à la vie. Mon âme, comme la terre, comme tous les
mondes, a donc ses jours et ses années, et la vue de la terre est comme
un livre où je lis les phases de sa vie.
Mais
ceci n'est qu'une faible comparaison ; car la terre et les plantes ne
sont que des symboles pour nous instruire, des formes qui écrivent ce
que Dieu dicte et qui lui obéissent en tout. L'âme, au contraire, est
libre. Par l'abus de sa liberté l'âme peut changer cet ordre. Parfois
elle fait décroître les jours quand Dieu les voudrait faire grandir ;
elle rend les moissons impossibles, malgré les semences que Dieu donne
et le soleil qu'il verse. Parfois enfin elle finit sa vie en refusant de
rentrer en Dieu.
L'âme
peut pécher, elle pèche, nous le voyons. Elle vit ou meurt, elle
grandit ou décroît, selon son libre choix. Elle passe aussi, dans sa vie
morale, par une double vicissitude trop peu connue: vicissitude de
force contre le mal, et de faiblesse à l'égard du mal ; de force que
Dieu donne, et de faiblesse qu'il laisse ; force et faiblesse donnée,
laissée, pour nous apprendre à vaincre et nous faire grandir dans la
force. Oui, toute âme voyageuse porte en elle la faiblesse et la force,
et la vertu et le péché. Il y a des semences de vertu, des principes de
loi éternelle, que le Verbe toujours présent maintient en nous ; et il y
a le péché d'origine, qui, par sa pente, porte toujours au péché
présent, et dont il faut, avec l'aide de Dieu, que l'homme triomphe.
Or la foi nous enseigne et la raison et l'expérience nous montrent qu'aucun homme ne pourrait,
par lui-même, triompher du péché, ni avancer dans la lumière et dans la
vie morale, ni porter les fruits de justice pour la vie éternelle. Sans
le secours de Dieu il n'y aurait dans la vie morale ni jours
croissants, ni saison féconde, ni fleurs, ni fruits. Livré seul à
lui-même, l'homme décroîtrait toujours ; l'homme diminuerait tout ; la
première période de tentation et d'éloignement de Dieu serait une chute,
et l'homme irait s'avançant dans les ténèbres et le froid de la mort
comme un astre détaché de son centre, et qui cesse de tourner autour de
sou soleil.
Mais
Dieu a fait un monde moral où la vie est possible, et où la vie doit
triompher pour tous les êtres qui ne la repousseront pas jusqu'à la fin.
Il
a posé, au milieu de l'immense groupe des âmes, un centre de vie, de
lumière et de force, comme au milieu des mondes il a mis son soleil. Et
le soleil du monde visible n'est pas ce grand fluide universel partout
présent et plus intime à chaque monde que ne peut l'être sa propre
masse, et qui est le principe de toute lumière, de toute vie, de toute
force : ce fluide-là n'est pas visible, quoiqu'il
porte, enveloppe et pénètre tout ce qui est. Mais le centre des mondes,
le soleil que l'on voit, c'est ce même fluide incarné et fixé dans une
terre, dans un monde de même substance et nature que les mondes
voyageurs, qui par eux-mêmes sont ténébreux.
Oui,
une portion de la matière commune, un globe, une terre semblable aux
autres, est au centres des mondes, mais pleine de toutes les forces du
grand esprit universel mises en action et rendues manifestes. Cette
terre centrale est enveloppée d'une immense auréole de lumière et de
feu. Cette auréole est le soleil, la source de la lumière. C'est là le
point d'appui qui porte les mondes, qui les soutient, qui les éclaire,
les échauffe et les vivifie. Ce centre ne cesse de les ramener tous vers
lui-même, et empêche leur mobilité de devenir une chute éternelle dans
la nuit. C'est lui qui ramène en chaque monde le jour après la nuit ;
c'est lui qui ramène en chaque monde, après l'hiver, la vie nouvelle
d'une autre année.
C'est
l'image du soleil des âmes. Le soleil des âmes n'est pas seulement
l'Esprit éternel, créateur, tel qu'il est en lui-même. Ce n'est pas
uniquement ce grand Dieu, partout présent et plus intime à tous les
êtres que chaque être ne l'est à soi-même. Ce n'est pas cet infini pur,
absolu, qui nous est invisible. C'est ce même Dieu, sans doute, mais ce
Dieu incarné dans notre nature même, et dans un être semblable à nous.
Voilà la source d'où tout vient pour les âmes, voilà le centre, le point
d'appui qui les porte, qui les soutient, qui les éclaire, qui les
échauffe et qui les vivifie. C'est lui qui ne cesse de les ramener de
peur que leur mobilité ne devienne une chute éternelle ; c'est lui qui
répare en chaque âme la lumière après les ténèbres ; c'est lui qui ne
laisse à la tentation que son heure, et lui fait succéder la lumière et
la force.
Mais,
chose admirable ! ce divin Soleil incarné, qui est à la fois terre et
lumière, matière et force, deux éléments radicalement distincts,
parfaitement unis dans l'unité de la flamme, ce Soleil, dis-je, n'est
pas seul au centre du monde. Comme le dit la divine parole de saint
Jean, ce Soleil a revêtu de sa lumière la femme
dont il est fils. Et de même que les astronomes croient voir parfois,
sous la flamme lumineuse qui est proprement le soleil, un noyau, un
globe, une terre, qui par elle-même serait sombre et opaque comme notre
terre ; de même, et bien plus certainement, puisque la parole de Dieu
nous l'enseigne, le centre réel du monde des âmes, c'est le grand signe
dont parle saint Jean, « la femme revêtue du soleil, » du soleil qui est
son Fils, qui est son Dieu. De sorte que le divin Soleil de justice,
incarné dans l'humanité, ne se borne pas seulement à prendre dans cette
terre centrale, du sein de laquelle il s'est développé, la substance
qu'il unit à sa divinité ; il veut encore que cette terre choisie,
unique, privilégiée, demeure en lui, y demeure, immobile comme lui, au
milieu des terres voyageuses ; il veut qu'elle y soit sans vicissitudes,
au milieu des mondes toujours soumis à la vicissitude. Il n'a pas voulu
que cette terre unique, Mère du Jour, ait jamais une seule fois connu
la nuit. Il a voulu qu'elle fût et demeurât dans la lumière, et fût
revêtue de lumière, en tout sens, en tout temps. Il a voulu qu'elle fût absolument immaculée.
De
sorte que, si l'on demande pourquoi cette terre centrale n'est pas
voyageuse comme les autres, on répond que, précisément parce qu'elle est
centrale, elle seule demeure, pendant que toutes les autres, distantes
du centre, ne peuvent que voyager sur la circonférence.
Si
l'on demande pourquoi cette terre, elle seule, ne connaît pas la nuit,
on répond que, seule fournissant au soleil la matière de sa flamme, elle
est tout enveloppée de la source du jour. La nuit, inévitable pour
toutes les autres terres, parce qu'elles sont opaques et placées à
distance du soleil, est impossible pour elle, qui, quoique obscure par
elle-même comme les autres, est préservée de toute ombre de nuit par la
flamme dont elle est la mère, qui la revêt et lui donne le jour pour
ceinture.
Telle
est la femme revêtue du soleil ; telle est cette âme unique que revêt
le Soleil de justice. Comment veut-on que la nuit du péché l'ait
atteinte ? Les autres âmes sont dans cette nuit ; elle
seule fait exception. Pourquoi cette exception ? C'est que le monde est
ainsi fait. Le monde des âmes est une sphère vivante ; et dans toute
sphère le centre est un point unique, à part des autres en tout. C'est
un point qui peut demeurer seul immobile quand tous les autres tournent.
Et si, comme dans le monde astronomique, le point central est revêtu
d'une auréole, il est clair qu'il est seul dans l'intérieur de
l'auréole, pendant que tous les autres sont dehors. Seul il regarde
l'auréole entière, seul il en est revêtu tout entier. Les autres voient
un côté du disque, et sont éclairés par une face pendant que l'autre
face est dans la nuit.
Mais
pourquoi le monde a-t-il été fait sur ce plan ? Et pourquoi y a-t-il un
centre ? Pourquoi ce centre est-il privilégié ? Pourquoi la vie, la
force et la lumière viennent-elles du centre ? J'ignore pourquoi le
monde est créé sur ce plan, mais je le vois ; lorsqu'il s'agit du inonde
des corps, je le vois de mes yeux. Pourquoi ne le voudrais-je pas
croire s'il s'agit du monde des esprits ? Peut-être ce plan est-il celui
qui peut conduire la société des âmes à devenir
la plus fidèle image de Dieu. En tout cas, n'est-ce pas cette forme qui
seule peut tout envelopper dans l'unité ? Le centre est l'unité dans
laquelle tout doit vivre. Or, si le centre est privilégié, ce privilège
est le trésor de tous. Cette forme du monde n'est-elle pas celle aussi
qui seule pouvait en faire un lieu d'éducation pour la liberté des
esprits ?
Mon
Dieu, y a-t-il dans ces belles images, auxquelles mon esprit s'est
livré, autre chose qu'une pâture d'un moment pour l'âme mystique qui
cherche partout l'image de ce qu'elle aime ? Ou bien serait-il vrai que
votre œuvre entière est un livre où peuvent se lire les mystères de
l'éternité ? Vous créez tout et gouvernez tout conformément à vous-même,
Seigneur ; votre plan éternel est l'image de vous-même. Votre image
consubstantielle, votre Verbe incarné dans votre œuvre, est le but de
votre œuvre ; il en est le principe, la raison et la cause, comme il en
est la fin. Mais, dans votre œuvre elle-même, la partie principale, le
fond, le centre, c'est cet être créé que votre sagesse destinait, de
toute éternité, a donner au Verbe incarné son corps, à concevoir et à
répandre en flots toujours croissants la Lumière éternelle sur ce qui
n'était pas. C'est là, Seigneur, votre soleil, composé du Verbe incarné
et de la Mère qui a porté le Verbe. Et vous avez semé par amour, autour
de ce soleil, d'autres âmes, c'est-à-dire d'autres centres d'amour
destinés à en boire la lumière et à lui devenir semblables. Ce sont les
astres intelligents et libres qui environnent votre soleil et qui
couronnent la femme revêtue du soleil. Le monde des âmes étant ainsi
Constitué, vous avez voulu que le monde des corps lui fût semblable, et
vous l'avez créé tel que nous le voyons, parce que vous créez tout
conformément à vous-même et à votre plan éternel ; qui lui-même n'est
que votre image.
Seulement ; Seigneur, vous n'avez pas, ce semble, écrit dans Votre monde visible comment les âmes voyageuses peuvent arriver à l'éternelle
et immuable perfection, ni comment les âmes que la lumière éclaire par
le dehors peuvent en concevoir le foyer et en prendre enfin l'auréole.
Ceci ne nous est enseigné que par votre Évangile.
Mais,
quelles que soient l'incertitude et la faiblesse de nos suppositions,
Seigneur, ce qui est vrai, c'est que mon âme est voyageuse et qu'elle
veut le repos. Elle n'a que des lumières partielles, qui viennent par
intervalles, et elle cherche la lumière pleine et continue. Et il en est
ainsi de tous les hommes.
Donc
il nous est bon de connaître les lois de la lumière, et sa source. Il
nous est bon d'apprendre à nous en rapprocher, à devenir féconds par
elle.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire