Le mois de Marie de l'Immaculée conception
12 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XIIe MÉDITATION.
Reine des siècles, priez pour nous !
Si
vous êtes Roi des siècles, ô Seigneur Jésus, votre Mère est la Reine
des siècles, car partout et toujours elle est, par votre grâce, ce que
vous êtes par nature et par droit.
Donc,
ô Reine des siècles, priez pour nous ! Priez pour ce siècle où nous
sommes, et au milieu duquel l'Église érige en dogme de foi votre absolue
et immaculée pureté !
Mais qu'est-ce que ce siècle où nous sommes ? Que faut-il demander pour lui ?
Le
siècle est toujours une chose double. En tout siècle il y a deux
siècles : le siècle saint et le siècle pervers. Il y a le siècle tel que
Dieu le donne, et le siècle tel que les hommes le font. Il y a l'esprit
et l'idée que Dieu inspire à chaque époque, et il y a la perversion que
les méchants, les indociles et les aveugles font de l'idée divine et
de l'Esprit de Dieu. Le mauvais siècle est celui dont on dit : «
Corrompre et être corrompu, voilà le siècle ; » et le bon siècle est
celui que marque le Prophète par ces paroles : « Donnez-nous, ô
Seigneur, de connaître votre marche sur terre et votre salutaire
conduite sur tous les peuples. » Le sens de la marche de Dieu, à chaque
époque et dans chaque peuple, c'est l'esprit du bon siècle. Mais
qu'est-ce que le mauvais siècle ?
Comme
le mal n'est rien par lui-même et n'est que l'abus du bien, ou le bien
retourné, de même le mauvais siècle ne vit pas par lui-même ; il n'est
que le bon siècle retourné. Il est l'abus, la perversion, la parodie que
fait de l'idée providentielle et de l'inspiration actuelle de Dieu la
partie indocile du genre humain.
Ainsi,
quand, aux premiers temps de l'Église, le dogme chrétien, se répandant
comme le soleil, forçait tous les esprits à voir, il s'éleva dans le
vieux monde une philosophie ennemie, qui copiait le dogme chrétien pour
combattre le christianisme. Cette philosophie n'avait d'existence et
de sève que celle que lui donnait le christianisme, qu'elle altérait et
retournait. C'était le mauvais siècle opposé au bon siècle.
De
même, lorsque Dieu fit comprendre à son Église que le moment d'une
guerre mortelle et décisive entre l'erreur et la vérité était venu, le
monde entier entendit sa voix. Le vieux monde, aussi bien que l'Église,
vit qu'il fallait du sang. Alors les fils du siècle saint versèrent leur
sang, et les fils du siècle mauvais versèrent le sang d'autrui. Le
mauvais siècle opère ainsi toujours l'inverse de ce que Dieu inspire au
siècle saint : il retourne l'idée de Dieu. C'est lui qui tue, lorsque
Dieu dit aux siens de mourir pour la vérité.
Et
dans les temps modernes, après que Dieu eut présenté au monde ces deux
admirables modèles, saint Vincent de Paul et Fénelon, l'idée de Dieu
était si claire que tous durent la saisir. Amour et charité : amour pour
tous les hommes était l'inspiration providentielle. Mais l'Église, ou
le siècle saint, vit la source de cet amour dans le divin cœur de Jésus ;
et le siècle pervers, la partie indocile et séparée, vit la source de
cet amour dans les fibres du cœur charnel, tel que le font les passions
et les vices. Et pendant que l'Église adorait et prenait pour source de
vie, pour modèle et pour centre, le sacré cœur de Jésus-Christ, le
siècle pervers a fini par adorer deux cœurs qu'il est difficile de
nommer.
Quel
est sur cet autel prostitué ce cœur de femme gorgé de honte ? Il n'a
pas de nom. Quel est cet autre cœur gorgé de sang humain qu'ils
promènent dans nos rues et portent en triomphe dans un vase d'or, comme
le siècle chrétien porte le corps et le sang de Jésus ?
Ils
ont rejeté comme une superstition le culte du cœur de Jésus et celui du
cœur de Marie, et ils adorent le cœur d'une impudique et le cœur du
plus grand, du plus célèbre des bourreaux. Voilà l'amour du siècle
pervers comparé à l'amour du siècle saint.
Mais
qu'est-ce que le siècle où nous sommes ? Quelle est l'inspiration
actuelle de Dieu ? Quelle est l'idée divine qui fait la force et le
mouvement du temps où nous vivons ? Il n'est pas difficile de le voir ; tout œil le voit. La mission de ce siècle est ceci :
Dieu
veut faire pratiquer à ce siècle, plus grandement que jamais, la
seconde partie de la loi, qui est semblable à la première. La première
consiste à aimer Dieu par-dessus toutes choses. La seconde consiste à
aimer son prochain comme soi-même ; et ce second précepte, dit
l'Évangile, est semblable au premier ; c'est le même sous une autre
face. Eh bien ! c'est cette face de la loi éternelle que Dieu semble
surtout vouloir nous présenter. Il nous montre les terres blanchissantes
sous la moisson humaine déjà mûre, et il veut nous montrer de plus en
plus clairement quel est le fruit humain qu'il nous faut moissonner.
Considérons
et méditons, par un autre côté d'abord, cette admirable vérité. Je vois
que l'idée de ce siècle, celle qu'il doit avoir, celle qu'il a, c'est
l'idée de la grandeur et de la dignité humaine ; et son inspiration,
c'est l'amour de l'humanité. C'est là l'idée du mauvais siècle, aussi
bien que celle du bon siècle, seulement le siècle saint entend ces
choses selon Dieu et son Évangile, tandis que le siècle pervers, comme
toujours, retourne l'idée, la détruit en la retournant, la nie en
l'affirmant.
En
effet, comment le siècle pervers entend-il aujourd'hui la dignité
humaine ? Il entend et affirme que la nature humaine est toute pure,
qu'elle est immaculée, qu'elle n'a point de péché d'origine, qu'elle n'a
point de concupiscence perverse, qu'elle ne pèche point, que ses
passions sont perfections, que ses laideurs sont des beautés, que la
chair est sainte dans ses œuvres. L'humanité est toute divine,
disent-ils ; elle est Dieu ! Délivrez donc ce Dieu captif.
Délivrons-nous de toute loi, de toute règle et de toute conscience.
N'obéissons plus, mais régnons. Régnons par la libre et pleine expansion
de toute notre nature et de tous ses mouvements, et ce sera le règne de
Dieu sur terre. Voilà bien la doctrine connue qu'enseigne le mauvais
siècle. Et j'aperçois déjà comment, cette perversion, c'est
l'inspiration de Dieu mal comprise.
Dieu
veut nous relever fortement ; il veut nous remplir de courage et nous
tirer de l'effroyable abattement où la sombre théologie protestante et
janséniste avait voulu jeter l'âme des chrétiens. Dieu veut nous faire
connaître la dignité, la grandeur de la nature humaine, malgré ses
faiblesses visibles et sa misère présente. Pour cela il nous montre, et
par les inspirations intérieures qu'il répand dans les âmes, et plus
clairement par la voix de l'Église, par la bouche de son représentant
sur terre, il nous montre d'abord que la nature humaine est si grande et
tellement image de Dieu qu'elle est libre, que l'homme fait et choisit
son éternelle destinée ; que, manifestement déchu, —nous le voyons, —
déchu par un acte de volonté libre, la chute n'est cependant pas
absolue, mais réparable ; que, dans chaque âme, la chute n'est pas
tellement entière qu'il ne reste de grandes ressources ; que la raison
et la liberté subsistent, quoique affaiblies, et que la grâce de Dieu
poursuit toujours chaque âme, et que chaque âme peut y répondre par cet
instinct béatifique qui n'est pas entièrement
éteint. Mais ce n'est pas là tout, et voici la grande lumière dont notre
Dieu veut nous donner la foi : c'est que l'humanité entière est un
ensemble, un seul corps dont nous sommes tous les membres, ainsi que
parle saint Paul. Or, tressaillez de joie, hommes de tous les siècles,
vous tous membres de ce corps, si humbles que vous soyez, tressaillez de
joie ! Le cœur de ce grand corps dont vous êtes membres, ce cœur, qui,
en un sens réel, est votre cœur, n'est pas atteint par le venin du mal.
Le premier cœur du genre humain, le premier couple, la source dont tout
est sorti, le premier père, la première mère du genre humain avaient été
créés sans tache. Eh bien ! ce premier cœur, cœur libre qui a péché, ce
premier couple prévaricateur, est remplacé, ou plutôt était remplacé de
toute éternité, dans la pensée de Dieu, par un cœur plus libre encore,
mais tout immaculé, par un couple réparateur, qui devait être et qui est
l'origine, le centre de l'humanité nouvelle, la source vivificatrice du
genre humain régénéré. Mais tressaillez encore : tout n'est pas dit !
Ce second cœur du monde, ce second couple n'est pas seulement
humain et rempli de la grâce de Dieu ; dans ce second cœur, le côté
principal est Dieu même, Dieu fait homme, et le côté moindre et
secondaire de notre cœur universel est un vase tout sacré qui porte
Dieu. Dans les mystères de ce grand cœur du monde, de ce cœur qui est le
vôtre, ô homme, l'humanité est mère de Dieu ; bien plus, l'humanité est
une avec Dieu même, dans celui qui est Dieu incarné. Votre père, votre
propre père, le second Adam, c'est Dieu lui-même fait homme pour être
l'un de vous, comme Adam était l'un de vous ; et votre propre mère, la
seconde Eve, est Mère de Dieu. Donc, cela est vrai, la dignité humaine
est magnifique. Car le cœur de l'humanité, c'est Dieu fait homme, et
c'est l'humanité devenue mère de Dieu. Là, il est vrai, comme le répète
le mauvais siècle, sans le comprendre, là, il est vrai que l'humanité
est toute pure, qu'elle est immaculée, qu'elle n'a point de péché
d'origine, point de concupiscence, qu'elle ne pèche point et ne saurait
pécher ; que ses divines passions, l'amour et la pitié, sont
perfections, qu'elle n'a point de laideur, qu'elle est toute belle, que
sa chair est sainte et sacrée, qu'elle est même vivificatrice. Là
l'humanité est divine, en un certain sens éloigné, car elle est mère de
Dieu ; là l'humanité est divine, en un sens vrai, car elle est
l'Homme-Dieu ! Délivrez donc ce Dieu captif. Délivrons-nous, aidés par
lui, du joug des sens, des liens du inonde pervers, du péché, de Satan.
N'obéissons pas à ce joug extérieur ; mais n'obéissons plus qu'à notre
cœur, à notre cœur divin, et régnons avec lui. Régnons par la libre et
pleine expansion de toute la vie qu'il nous envoie et de tous ses
mouvements, et ce sera le règne de Dieu sur terre.
Voilà
ce que Dieu inspire. Voilà ce que le siècle saint proclame. Voilà ce
que, forcé de proclamer à sa manière, le siècle pervers répète à peu
près mot à mot, mais en retournant tout. Il appelle triomphe notre
chute, notre chute que voient tous les yeux, puisque le mal et la mort
sont sur nous. Il appelle beauté nos laideurs, nos laideurs si affreuses
qu'il nous est impossible, sans un surnaturel
secours de Dieu, de nous aimer les uns les autres. Il voit le vice, la
laideur, la passion, la corruption, la concupiscence et l'orgueil, et
c'est là ce qu'il nomme la pureté immaculée ; c'est là ce qu'il nomme
Dieu ! Et quant au véritable Homme-Dieu, il ne le connaît pas. Et
l'Immaculée véritable, Mère de Dieu, il ne veut point qu'on lui en
parle. C'est ainsi que le siècle pervers imite le siècle saint. Il
répète à peu près les mêmes termes ; il proclame presque les mêmes
espérances, mais en renversant tout. Et pourtant sous cette perversion
on reconnaît encore l'idée que Dieu donnait, l'idée de la grande dignité
humaine et du vrai culte de l'humanité.
C'est
qu'en effet Dieu veut inspirer à ce siècle un plus grand amour de
l'humanité. Il nous veut inspirer d'abord un culte croissant d'adoration
et d'amour pour l'adorable humanité de l'Homme-Dieu ; et puis un culte
de vénération, d'imitation et d'amour pour l'humanité pure de
l'immaculée Reine du monde, Mère de Dieu ; et enfin un culte de
compassion, d'amour et de dévouement pour l'humanité pauvre, malade et
misérable, que l'Homme-Dieu a voulu appeler son corps et ses membres souffrants.
Oui,
je crois le sentir et le voir, c'est là ce que Dieu même, aujourd'hui,
inspire à tout esprit qui ne dort pas, à tout cœur qui n'est pas éteint.
En sorte que ceux mêmes qui n'écoutent pas l'Église, qui ne croient pas
à l'Évangile, qui ne savent ce que c'est que l'Homme-Dieu, ce qu'est la
Mère de Dieu, ceux-là mêmes Dieu leur parle et les sollicite au dedans.
Il parle à leur raison et à leur cœur, et il leur dit : Fils de
l'homme, regarde ce globe, et vois les hommes souffrants, couchés dans
les ténèbres et dans la mort. Est-ce là toute ta destinée et celle du
genre humain ? Ne veux-tu rien de mieux ? Ne vois-tu pas comme ils se
perdent et se dégradent sans fin, faute de m'aimer et de s'aimer entre
eux ? Mais crois-tu que je ne les aime pas ? Crois-tu que cette humanité
si misérable n'est pas belle ? Beauté des âmes ! beauté si grande qu'on
peut et doit, comme moi, aimer les âmes jusqu'à la mort ! Ton sang, ô
fils de l'homme, ton cœur, ta vie, ton travail, tes sueurs, pour relever
l'humanité, veux-tu me les donner ? M'entends-tu ? L'humanité peut être
relevée. Ne lui suis-je pas présent ? Ne suis-je pas dans son sein ? Je
suis plus près de l'homme que tu ne penses ; je suis un avec l'homme.
Dieu
cherche ainsi à inspirer la foi en l'Homme-Dieu et sa Rédemption ; mais
l'âme, hors de l'Église, ne sachant pas interpréter la mystérieuse
inspiration de Dieu par la claire doctrine révélée, l'âme s'étonne, est
éblouie de cette proximité de Dieu à l'homme,et de ce grand pouvoir de
relever les âmes, dont parle l'inspiration. Et si vous ne l'aidez, Reine
du siècle, elle va prendre le change, elle va confondre Dieu et
l'homme, et tomber dans le siècle pervers au lieu d'aller au siècle
saint.
Mais
l'inspiration continue et dit : Non, tout n'est pas perdu, fils de
l'homme ! Lève la tête, déploie ton courage. Si l'humanité m'obéit, elle
peut tout. Elle peut s'emparer de ma force pour se relever. Elle le
peut, elle est libre ; elle peut m'entendre, me concevoir, me faire
descendre sur la terre, et elle l'a fait. Humble, pure et obéissante,
elle est ma mère, et ma mère est ce que l'homme peut concevoir de plus
parfait, après moi. Elle est absolument sans tache. Courage, fils de
cette mère ! Efforce-toi de naître dans son sein, car il s'agit ici
d'une naissance libre, et tu deviendras frère de Dieu, fils de Dieu.
Dieu
cherche ainsi à inspirer la foi à la renaissance surnaturelle et en
l'immaculée Mère des âmes, Mère de la vie surnaturelle, seul canal de la
vie nouvelle qui est la vie de Dieu, celle de l'Homme-Dieu.
Mais
l'homme, hors de l'Église, ne sachant éclaircir la mystérieuse
inspiration par la claire doctrine révélée, est ébloui de cette
fraternité divine, de cette admirable beauté humaine, dont parle
l'inspiration, et si vous ne le guidez, Reine du siècle, il va prendre
le change, il va tourner l'inspiration divine au mauvais sens et courir
au siècle pervers.
Mais
l'inspiration continue : Il faut renaître en effet, fils de l'homme,
car tu es plein de misère, plein de ténèbres, plein de péché, soumis au
mal et à la mort. Il faut changer : il faut voir tes ténèbres
et ta misère ; il faut renaître, devenir humble et pur, et virginal, et
il te faudra vivre en domptant pendant toute la vie les orgueilleux ou
voluptueux entraînements qui t'éloignent de moi.
Or
ceci est la crise de l'âme dans l'inspiration intérieure. C'est ici que
l'âme va se juger elle-même, choisir sa voie, tourner au siècle saint
ou au siècle pervers. C'est ici, Reine du siècle, qu'il faut l'aider.
Si
vous ne l'aidez pas ; si, par ses habitudes et ses libres tendances,
par ses instincts ou par sa volonté, elle n'aime pas vos vertus et votre
ressemblance ; si votre humilité lui inspire le mépris ; si votre
pureté l'effraye et la révolte ; si elle veut son orgueil et s'attache à
ses voluptés, elle est perdue, et d'autant plus perdue qu'elle voudra
davantage obéir à l'inspiration actuelle de ce siècle.
Effaçant
absolument la double condition d'humilité et de pureté, que Dieu pose,
ne sachant point, ô Reine du siècle, que votre immaculée virginité seule
est mère de Dieu, et qu'on ne peut recevoir et
concevoir Dieu et l'Homme Dieu que par vous, l'âme dit : C'est lui qui
me parle, je le sens ; il me dit qu'il est près de moi et en moi, et que
l'humanité est belle, et qu'elle peut tout par lui. Donc je suis beau,
je porte Dieu en moi, et je peux tout. Et bientôt, enivré par ce mélange
affreux de ce que Dieu inspire et de ce que le péché corrompt, —le
péché qu'il entend maintenir en lui tout entier, — enivré par le
terrible mélange, il dira : Je suis Dieu ; nous sommes Dieu. Il n'y a
point de mal. Nous sommes immaculés. L'humanité est Dieu ; c'est elle
seule qu'il faut adorer.
Et
voilà comment naissent les prophètes du siècle pervers qui nous parlent
en ce moment : inspiration divine dans le péché voulu et maintenu. Tout
est perdu, la vie de la grâce répandue, le vase brisé, parce qu'on a
refusé de se laisser guider à Dieu par vous, ô Reine immaculée du
siècle, qui seule allez à Dieu par votre absolue pureté.
Si, au contraire, vous aidez cette âme, ô Reine du siècle, si elle ne repousse pas votre conformité
; si l'humilité virginale et la virginale pureté ne l'effrayent pas ;
si dès lors vous pouvez la tenir par la main et lui apprendre, pendant
que Dieu lui parle, à écouter, à obéir comme vous, aussitôt Dieu devient
son maître ; il opère, il dirige : l'âme n'hésite plus entre les
ténèbres et la lumière.
L'homme
voit ce qui est ténèbres, et il voit ce qui est lumière. Il voit sa
misère, son péché, et en prend une haine divine ; il voit la belle
lumière qui s'offre à lui, et il en prend un amour divin. Il cesse
aussitôt d'appeler les ténèbres lumière, selon la parole d'Isaïe. Il ne
dit plus : « Il n'y a point de mal, point de péché, ou : « Le mal n'est
qu'un moindre bien.» Il n'étouffe plus son cœur et sa conscience pour
arriver à nier le mal, et il n'éteint pas sa, raison pour parvenir à
nier l'erreur. Il ne pervertit plus l'inspiration divine qui lui
enseigne que la mère de vie, Mère de Dieu et des âmes, est parfaitement
immaculée. Il n'en veut plus conclure, malgré ses yeux et sa raison, que
l'humanité tout entière, telle qu'elle est, est tout immaculée.
Il voit le mal en lui et hors de lui : première condition de la vue du
vrai bien. Et puis, malgré l'épouvantable aspect du mal présent et des
douleurs terrestres, il saura s'élever par l'amour, par la foi, par
l'espérance, à comprendre ou à croire ce que Dieu inspire au dedans et
ce que proclame au dehors l'Église de Dieu : qu'il y a un monde nouveau ;
qu'il y a une humanité nouvelle ; que le cœur de l'humanité nouvelle
est divin et immaculé, et que toute âme par sa liberté, sous l'attrait
lumineux et amoureux de ce cœur vivifiant, peut vaincre le mal et tendre
à l'immaculée pureté, et même à la divinité du cœur nouveau.
Et
l'homme alors comprend ce que veulent dire ces mots : régénérer le
monde, délivrer les nations, faire avancer les peuples, augmenter la
lumière, la liberté, l'amour, la vie, la paix parmi les hommes. L'âme
alors ne prend plus le change ; elle comprend les inspirations saintes
dans le sens vivificateur où Dieu les donne, et non dans le sens pervers
où les prend l'esprit du mal pour tout entraver et tout perdre.
Donc,
ô Mère de nos âmes, vous êtes vraiment la Reine du siècle, car votre
idée plane sur ce siècle. Ce siècle veut glorifier l'humanité et la
montrer immaculée : c'est votre étoile qu'il aperçoit. Il voit s'élever à
l'horizon cette belle étoile sans la comprendre. Mais l'Église
catholique lui dit : Oui, l'admirable lumière de la douce et brillante
étoile est vraiment celle de l'humanité pure, virginale, immaculée. Mère
de Dieu, Reine des siècles et de ce siècle. Mais, parce que vous voyez
cette lumière, ne dites pas qu'il n'y a point de ténèbres parmi les
homme ; au contraire, comprenez l'horreur des ténèbres, et travaillez
enfin à chasser les ténèbres par la lumière.
Vous
êtes donc, ô sainte Mère de Dieu, Reine du présent siècle, car vous
êtes l'étoile qu'il regarde ; vous êtes l'étoile dont ce siècle a besoin
pour trouver Dieu, c'est-à-dire le comprendre et le concevoir dans ses
inspirations ;
O Reine des siècles, priez donc ardemment pour ce siècle ; ne souffrez pas qu'il prenne le change.
Déployez toute votre puissance et toute ia force de votre prière. O
Reine, oserai-je bien dire ce secret ? vous priez d'une double prière ;
car vous êtes l'échelle de Jacob sur laquelle les anges montent et
descendent du ciel en terre et de la terre au ciel. C'est l'image de
votre prière ; vous priez Dieu de descendre du ciel, et vous priez les
hommes d'y vouloir bien monter ; vous priez votre Fils de frapper à la
porte des cœurs, et vous priez les cœurs d'ouvrir à votre Fils. O prière
ineffable de la très douce et immaculée mère ! Que dit-elle ? O mon
fils, obéis, obéis à Dieu ! O mon fils, ne repousse pas Dieu ! Divine
Mère de nos âmes, insistez donc ! Votre prière est toute-puissante sur
Dieu ; elle n'est trop souvent impuissante que sur nous. Mais Dieu même
vous donne en ce temps une voix plus pénétrante et d'un plus grand
éclat. Insistez donc ! Attirez vers Dieu tout ce Siècle ; persuadez-lui
de se laisser saisir par Dieu ; Que, sous la même inspiration de Dieu,
qui Veut rendre l'humanité plus pure ; plus libre, plus belle, plus
aimée, plus aimante ; il ne se forme plus deux siècles dans le
même siècle, deux siècles en guerre et en contradiction, dont l'un
détruit pendant que l'autre veut construire. Qu'il n'y ait plus de
siècle pervers ; qu'il n'y ait plus qu'un siècle saint, ou du moins que
le siècle pervers soit réduit ; que tous les bons cœurs l'abandonnent ;
qu'il ne lui soit plus donné de séduire tant d'esprits faits pour la
lumière ; que les méchants soient ses seuls fidèles ; que le nombre, le
courage, l'enthousiasme et l'ardeur soient dans le siècle saint, et que
rien ne puisse étouffer les admirables inspirations de Dieu pour le
progrès de son règne sur terre !
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