Le mois de Marie de l'Immaculée conception
24 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XXIVe MÉDITATION.
Marie, notre Mère, priez pour nous !
Marie,
notre mère, mère des élus et mère des hommes, obtenez-nous d'entrer de
plus en plus profondément dans le mystère de votre maternité à notre
égard ; montrez-nous comment vous nous avez enfantés à la vie, et
comment nous pouvons mériter d'être appelés et d'être en effet vos
enfants.
Il
y a en Dieu, dans l'ordre de la Rédemption, deux degrés de paternité :
celui par lequel il engendre de la sainte Vierge son Fils unique, réel
et naturel, l'Homme-Dieu ; et celui par lequel il adopte les hommes en
Jésus-Christ, comme frères et cohéritiers de Jésus.
Ces
deux degrés de fécondité se trouvent dans la sainte Vierge. Elle aussi
est véritablement mère, par nature, du Fils unique de Dieu, de
l'Homme-Dieu ; mais, en outre, elle est mère, par adoption, de tous les
hommes et surtout de tous les élus.
Comment
et quand la Vierge Marie est-elle devenue Mère du Christ ? Nous le
savons : c'est lorsque l'ange la salua et lui dit : « Le fruit de vos
entrailles est béni. » En ce moment elle a conçu du Saint-Esprit le Fils
unique de Dieu. Ne nous lassons pas de répéter que sa pureté radicale,
absolument immaculée, est, du côté de l'homme, le principe de
l'Incarnation. C'est, dit saint Chrysostome, parce que la Vierge avait
un degré de chasteté supérieur à celui de toute nature humaine, c'est
pour cela qu'elle a conçu dans ses entrailles le Seigneur Jésus-Christ.
Il y a une corrélation admirable entre la maternité divine et la pureté
immaculée.
Mais
quand donc et comment Marie est-elle devenue notre mère ? Marie a
enfanté tous ses fils adoptifs au milieu des douleurs du Calvaire, au
moment où Jésus lui dit, du haut de la croix : « Femme, voici votre
fils, » et au moment où il dit à saint Jean : « Celle-ci est votre mère.
» Tous les Pères de l'Église reconnaissent que ces mots
adressés à saint Jean, s'adressent par le Christ à tous les élus. Et
quant à cette suprême parole : «Femme, voici votre fils, » bien des
théologiens affirment que c'est cette parole même qui fit naître de Dieu
et de Marie, par adoption, mais par une adoption efficace et réelle,
tous les élus. Saint Pierre Damien va jusqu'à dire que le mot : « Femme,
voici votre fils, » eut l'efficacité toute-puissante du mot qui
consacre le pain et le vin, et qui en fait le corps et le sang de Jésus.
Les hommes, fils de la terre, étaient le pain et le vin ; par ce mot : «
Celui-ci est ton fils, » Jésus les consacre tous, et fait de ce pain et
de ce vin sans valeur ses propres frères, les propres enfants de Marie ;
ou plutôt il en a fait son propre corps mystique, son propre sang ;
car, dit admirablement Origène, Jésus a dit : "Celui-ci est ton fils,"
et non pas : Celui-ci est aussi ton fils. Il a réellement voulu dire :
Celui-ci, ce fils adoptif, est ce même Jésus que tu as engendré. Car les
élus de Dieu, comme saint Paul, doivent pouvoir dire : « Ce n'est plus
moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » C'est ainsi que Jésus
nous a faits membres de son corps, nous a rendus participants de la nature divine, nous a rassemblés tous en un seul corps qui est le sien.
Oui,
en ce moment solennel il y a eu consécration des hommes, c'est-à-dire
que les fils de la terre, les fils d'Adam sont devenus enfants de Dieu.
En ce moment se prononçait au sein de l'histoire la parole souveraine
qui a dit à l'humanité nouvelle, créée en Jésus-Christ et en Marie, la
seconde Eve : "Croissez et multipliez."
En
ce moment l'action souveraine et plus que créatrice, qui non-seulement
répare, mais qui encore élève la création de l'ordre naturel à l'ordre
surnaturel ; qui fait comme sortir de soi la nature, afin de la porter
dans l'infini de Dieu ; en ce moment l'éternelle action, l'éternel
sacrifice, dont le sacrifice quotidien de l'autel est la continuation, a
été consommé.
De tous les points du temps c'est le plus solennel.
En
ce moment Dieu a donné son Fils unique pour le salut du monde. C'est
l'instant même où s'accomplit le mot : « Dieu a tellement aimé le monde
qu'il a donné son Fils unique. » En ce moment aussi, la Vierge,
volontairement unie au sacrifice, donnait plus que sa propre vie, et les
Pères lui ont appliqué ce que Jésus a dit de Dieu : « Elle a tellement
aimé le monde qu'elle a donné son Fils unique. » En ce moment Marie,
unie au prêtre, qui est Jésus, et devenue prêtre avec lui, acceptait et
offrait ses douleurs. Et ces douleurs sont celles de notre enfantement.
Il est certain, dit un savant auteur, d'après saint Bernardin de Sienne,
que Marie, par sa coopération amoureuse au mystère de la rédemption,
nous a, sur le Calvaire, véritablement enfantés à la vie de la grâce ;
que, dans l'ordre du salut, les douleurs de Marie, comme l'amour du Père
éternel et les souffrances de son Fils, nous ont donné naissance à
tous, et que dans ces précieux moments Marie est devenue rigoureusement
notre mère, par l'immensité de son amour et la générosité de son
martyre.
Oui,
pour le seconde fois la Vierge conçut alors sous le pouvoir de la
parole de Dieu, au moment où Jésus prononçait ces mystérieuses paroles
: « Femme, voici votre fils. » Marie tout à coup sentit ses entrailles
s'émouvoir, son esprit tressaillir, et son cœur s'ouvrir, pour l'Église,
à toutes les tendresses comme à tous les devoirs de la maternité. »
Et
de même que, pour la première naissance du Christ en sa chair, Dieu
demanda le consentement de la nature humaine dans Marie, de même, pour
cette seconde naissance du Verbe en ses élus, Dieu voulut encore le
plein consentement de Marie. Elle est mère des élus, mère des hommes,
parce qu'elle a voulu toutes les douleurs de ce cruel enfantement ; il
lui a fallu sacrifier son Fils unique, afin qu'il ne fût plus unique, et
que cette divine parole de Jésus fût accomplie : « Si le grain de
froment, mis en terre, ne meurt pas, il reste seul ; s'il meurt, il
porte beaucoup de fruits. » En acceptant et en voulant pleinement cette
mort pour son Fils et pour elle, ce qui est, après le sacrifice de
Jésus-Christ, le plus étonnant sacrifice qu'une âme humaine ait jamais
fait, elle mérita de faire multiplier le grain de froment, et de
réaliser ces autres paroles prophétiques : « Ton sein est une gerbe
d'épis. » Et pour ce qui est de saint Jean, qui représente toute cette
filiation nouvelle, il obtint le premier cet héritage, dit saint
Cyrille, et devint fils de Dieu et de Marie, par la virginité et par sa
proximité de la croix. Virginité, proximité de la croix, mort sur la
croix, sacrifice, en un mot, voilà la cause de la filiation des hommes
en Dieu. Quand donc les hommes et les chrétiens comprendront-ils la
sainte et surnaturelle fécondité du sacrifice ? Quand verront-ils dans
le sacrifice, dans la croix qui en est le signe, qui est le signe du
chrétien, quand verra-t-on, je ne dis pas dans le sacrifice sanglant qui
est la forme du sacrifice dans cette vallée de larmes, mais dans le
sacrifice en son essence, la loi suprême et universelle de la vie, ou
plutôt le mouvement même de la vie en Dieu et de la vie croissante en
Dieu ? Comme on voit, dans un jour fécond de printemps, croître les
plantes visiblement sous l'électricité qui descend d'en haut ; comme on
voit leurs veines délicates se recueillir et se dilater tour à tour sous
les élans de l'esprit de la nature qui les
développe, et comme ces deux mouvements sont aussi nécessaires à leur
croissance que les deux mouvements du cœur sont indispensables à la vie
de nos corps ; comme il est vrai que rien ne peut être agrandi sans
s'être recueilli, que rien ne peut être élevé sans avoir été humilié, et
qu'on ne peut recevoir la vie, dit le Sauveur, sans avoir consenti à la
perdre ; comme il est vrai qu'on ne peut entrer dans l'infini de Dieu
qu'en sortant de soi-même et s'anéantissant sous l'infini de Dieu ;
comme cette grande loi s'étend non-seulement à la vie et à la croissance
des corps, non-seulement à la vie et à la croissance des âmes, mais à
la vie logique de la pensée, espérons qu'un jour et bientôt, par Marie
notre mère, en présence de Jésus en croix, l'idée du sacrifice pénétrera
l'esprit humain, pour ouvrir à la science une ère nouvelle, et surtout
pour ouvrir aux âmes, aux cœurs et aux courages des hommes une ère
nouvelle de dévouement.
O
notre Mère ! ce sera là la grande merveille du progrès de votre
imitation, qui est la condition et le commencement de l'imitation de
Jésus. Votre connaissance et votre imitation, augmentées dans l'Église,
augmenteront parmi les hommes ce qui les lie à vous, la virginité et la
proximité de la croix. Et ces deux choses, qui ne sont qu'une, nous
mériteront de plus en plus votre maternité et la fraternité de
Jésus-Christ. Unis à vous sur le Calvaire, les hommes consentiront
davantage à la mort. Éclairés sur la mort, ils quitteront cette
servitude dont parle saint Paul, sous laquelle la crainte de mourir nous
tient tous pendant toute la vie. Ils seront libres. Au lieu de marcher
tout courbés et abattus dans leurs frayeurs, ils seront droits ; ils
regarderont le ciel en effet, et se joueront des sacrifices qui
glorifient Dieu et unissent les hommes. Ils seront frères en vous, ô
notre Mère ! et en Jésus notre frère incréé. Ils seront membres d'un
seul corps, et par le sacrifice ils s'uniront en un même pain, en un
même vin, comme les grains broyés du froment et les grains de la vigne
pressés ensemble. Ce pain, ce vin sera celui de la consécration, le pain
sacré, le vin nouveau du royaume de Dieu. Là on saura que, la vie,
c'est, de la part de l'homme, une offrande continue, un perpétuel
sacrifice de soi-même, auquel répond, de la part de Dieu, un torrent de
gloire éternelle.
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