Le mois de Marie de l'Immaculée conception
31 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XXXIe MÉDITATION.
Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, donnez-nous votre paix !
Agneau
de Dieu qui effacez les péchés du monde, secourez-nous en ces jours
critiques, et venez effacer au moins quelques-unes des plus terribles
conséquences de nos péchés. Éteignez la colère, calmez les haines,
arrêtez les menaces, faites succéder aux bruits de guerre le silence
fécond du travail. Agneau de Dieu, donnez-nous votre paix.
Jésus,
Seigneur du ciel et de la terre, quand vous montez au ciel vous dites :
« Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. » Et quand vous
paraissez au milieu de nous sur la terre, vous dites : « Que la paix
soit avec vous. »
Vous
qui êtes la paix même, ô mon Dieu, ne serait-il pas temps, dix-neuf
siècles après votre venue, qu'au milieu des peuples chrétiens la paix,
la glorieuse paix dans la justice, pût commencer son règne, et que la prière de l'Église, qui ne cesse de vous demander la paix entre les princes chrétiens, fût exaucée enfin !
Lorsqu'il
sera venu, dit Isaïe, les peuples transformeront leurs épées en
charrues, et changeront leurs lances en faux, pour moissonner. Les
nations ne s'exerceront plus à la guerre et ne lèveront plus la main
l'une contre l'autre » (Isaie, chap. II, v. 4).
Quand sera-ce, ô mon Dieu ! Quand verrat-on donc l'Évangile descendre dans la vie réelle des nations ?
Quand verra-t-on la vie des peuples se multiplier par l'union au lieu de se neutraliser par la lutte ?
Quand verra-t-on les peuples se souvenir qu'ils sont cohéritiers et ne doivent former qu'un même corps ?
Quand
verra-t-on les princes devenir princes évangéliques, et, loin de
dominer les peuples et de les opprimer par le luxe et la guerre, les
servir dans la justice et dans la paix ( Matth., XX , 25) ?
Ou
plutôt, quand verrons-nous les peuples, devenus enfin clairvoyants, se
délivrer décidément des continuels interrupteurs de la vie nationale,
des contempteurs de toute magistrature, des lacérateurs sacrilèges de
toute loi, des briseurs de gouvernements et de constitutions, et en même
temps, par une conséquence naturelle, savoir ne plus donner au centre
de l'État, qui, quoi qu'on fasse, est toujours un et homme, le plein
pouvoir du sang, de l'impôt et de la parole, c'est-à-dire le pouvoir de
régler seul la vie, le travail, la pensée de tous, et de décider seul de
la guerre ou de la paix du monde ?
Quand
verra-t-on les hommes comprendre enfin la vérité de deux paroles
évangéliques qui sont deux grandes lois de l'histoire : celle-ci d'abord
: « Celui qui se sert de l'épée périra par l'épée ; » puis cette autre :
« Heureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre ? »
Quand saura-t-on que la vérité seule, la justice seule, et surtout la
bonté, ont, par elles-mêmes, une sorte de toute-puissance, que la
colère, l'épée, le sang, ne peuvent que diminuer ? Eh bien ! Dieu soit
loué ! le temps approche où les hommes comprendront ces choses.
0
Jésus, qui effacez les péchés du monde ; Vous qui rendez les nations
chrétiennes sans nulle comparaison plus pures que les peuples anciens ;
Vous qui, développant dans leur sein la science et la raison, leur
donnez, pour dominer la terre, des forces inconnues au vieux monde, Vous
avez aussi commencé à leur donner quelque intelligence de la paix. Déjà
vous leur donnez l'estime de la douceur et de la bonté. Déjà, comparés à
la barbare, cruelle et ignorante antiquité, les peuples chrétiens sont
bons, doux, pacifiques, autant que lumineux et forts.
Et
n'avons-nous pas sous les yeux, depuis bientôt un demi-siècle, un
spectacle qui ne s'était pas encore vu dans le monde, savoir : la paix
devenue stable par elle-même en Europe, et la guerre d'année en année
plus difficile, et bientôt à peu près impossible ? Et n'avons-nous pas
vu, quand la dernière grande guerre a éclaté, l'universelle conspiration
des peuples pour l'éteindre au plus tôt ? Et ne voyons-nous pas,
aujourd'hui même, au moment où la paix chancelle, l'universelle
conspiration des hommes, des choses et des idées, grandir et s'élever,
presque irrésistible, pour commander la paix ?
En
ce temps où l'Europe ne fait bientôt plus, par l'espace, qu'une terre
unique ; où tous les peuples se voient et se parlent chaque jour ; où le
travail et la richesse de tous sont inextricablement enlacés ; où la
science, les idées, les intérêts, les mœurs, les habitudes et les
besoins forment comme un unique réseau de tous les peuples, voici que ce
vivant et puissant réseau ne veut plus être déchiré. Aujourd'hui, grâce
à Dieu, tout conspire avec la sagesse, avec l'amour des hommes, pour repousser la guerre du sein de la patrie européenne.
Ce
n'est pas tout : l'histoire et la raison, commentant l'Évangile,
commencent enfin à nous montrer la faiblesse de la guerre, la force de
la paix pour conquérir et gouverner le monde.
Que
voulez-vous ? Vous voulez la justice ? Vous voulez délivrer les
opprimés ? Eh bien ! l'histoire, comme l'Évangile, vous montrent que la
guerre aggrave toujours le joug de tous les opprimés. Il n'est pas
aujourd'hui un seul homme, connaissant l'Europe, qui ne comprenne que la
justice, la vérité , la science, la parole, la raison, l'opinion,
l'effort moral et intellectuel, sont décidément parmi nous des choses
plus fortes que le fer et le feu.
O
vous tous qui souffrez et qui êtes opprimés, mettez enfin votre
confiance, non dans l'épée barbare, ruine des causes qui la tirent, non
dans le poignard satanique, malédiction des causes qui le tolèrent, mais
dans la force de la justice, de la vérité, de la foi, et dans le feu
sacré du cœur de Jésus-Christ.
Oui,
il y a encore parmi nous des opprimés. Il y en a de peuple à peuple, et
dans chaque peuple. O Jésus, qui êtes venu pour délivrer les hommes,
donnez-nous cet ardent amour des opprimés que l'on peut appeler votre
feu, ce feu que vous apportez à la terre ; mais montrez-nous en même
temps, ô Jésus, que ce feu, dont le triomphe est votre unique désir, est
lui-même la force souveraine qui doit tout délivrer en changeant les
obstacles en flammes.
O
mon frère, avez-vous quelquefois senti, dans votre ardente jeunesse,
des énergies de conviction, des bondissements de cœur, qui semblaient
assez forts pour soulever le monde ? Eh bien ! en ce moment vous avez
pressenti la force de la justice et de la foi. Le feu sacré brûlait en
vous.
Dans cette force, dit l'Évangile, l'homme soulève les montagnes, et rien ne lui est impossible (matth., XVII, 19).
Pourquoi cela ?
C'est
que Dieu est partout. Dieu, rondement du monde et point d'appui des
âmes, Dieu, qui est la justice, est au centre de toutes les âmes. En ce
centre les hommes se touchent d'un bout du monde à l'autre. En ce milieu
spirituel se transmettent d'homme à homme les mouvements de la pensée.
En Dieu, qui est justice et vérité, en Dieu toujours présent à tout
esprit et toute conscience, en Dieu se touchent tous les esprits créés.
Qu'un esprit veuille la justice et pense la vérité, cette pensée ou
cette volonté est un mouvement qui se transmet et se propage comme la
lumière. C'est un flot qui grandit et s'avance, partout favorisé par le
fond des consciences, et par le fond du monde, et par la force absolue,
qui est Dieu. Que plusieurs s'unissent pour vouloir et pour croire, dans
la vérité claire, dans l'évidence de la justice certaine et
désintéressée, dans l'enthousiasme et dans l'amour du bien ; alors
l'irrésistible élan des multitudes intelligentes et libres, formées en
légions invisibles,renverse tout obstacle et gouverne le monde.
Assurément,
la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu ; mais le
soulèvement pacifique, patient, persévérant des esprits, des consciences
et des cœurs pour la justice, voilà l'irrésistible force qui,
aujourd'hui plus que jamais, suffit à tout. En cette force les justes et
les bons seront maîtres du monde et dompteront toute force qui s'oppose
à la justice de Dieu ; comme quand saint Pierre, d'une seule parole,
fit tomber morts ceux qui mentaient, ou plutôt comme lorsque Jésus, qui
est la Justice même, renversait les soldats en leur disant : C'est Moi.
Voilà
la force des temps modernes. Dompter les volontés par la justice et les
esprits par la raison, mais non plus par le fer et le sang, voilà la
guerre très-sainte des siècles à venir, et voilà l'instrument sacré des
révolutions légitimes.
O
Jésus, Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, donnez-nous
votre paix, sous votre loi, dans votre force, dans votre vérité et votre
liberté.
Répétez-nous que, si nous pratiquons vos lois, nous connaîtrons la vérité, et que la vérité nous rendra libres (jean,VIII, 32).
Montrez-nous
que votre divin feu est sur la terre, que sa flamme lumineuse et
puissante suffit à tout et triomphe de tout dans la paix.
Mais
il faut qu'elle s'allume et qu'elle éclate ; sans quoi la paix est
impossible. Et il faut qu'elle s'allume bientôt, sans quoi la guerre et
les révolutions sont à nos portes.
Car,
si les hommes s'endorment plus long temps dans la fausse paix, dans
l'inintelligence, dans la stupide indifférence pour la justice, dans la
bassesse de l'égoïsme, et dans l'unique affaire du lucre par la
spoliation, et dans la fange du luxe et de la volupté, alors, de peur
qu'ils ne croupissent jusqu'à la mort, Dieu va les remuer encore une
fois par les révolutions et par la guerre.
Qu'il
s'allume donc, ce feu sacré, et qu'il pénètre les nations, pour les
mener, par la justice, par la foi, par la science, à l'union, à la
liberté, à la paix.
O Jésus, qui effacez les péchés du monde, donnez-nous votre paix !
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