Le mois de Marie de l'Immaculée conception
28 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XXVIIIe MÉDITATION.
Marie, notre demeure, priez pour nous !
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Jésus et Marie, nous ne pouvons quitter de sitôt, puisque nous y sommes
venus, la douce méditation de votre cœur. Je dis votre cœur, ô Jésus et
Marie, car vous n'avez qu'un cœur. Comme le corps humain n'a qu'un cœur
en deux moitiés visibles, le royaume de Dieu n'a qu'un cœur, l'Église
catholique n'a qu'un cœur.
Ces
pieuses médailles qui représentent les cœurs de Jésus et de Marie
appuyés l'un sur l'autre, l'un couronné d'épines, l'autre percé de
glaives, ne vont pas assez loin. Vos deux cœurs ne se touchent pas
seulement, ils ne sont pas seulement appuyés l'un sur l'autre ; ils sont
en un, autant au moins que les deux côtés du cœur de chaque homme. Pour
bien comprendre à quel point ils sont un, il faut se rappeler ces
admirables révélations adressées à plusieurs saints ou saintes, qui ont
vu Jésus-Christ prendre leur cœur et le plonger
dans le sien, de sorte qu'on ne voyait plus qu'un cœur, quoique les deux
restassent distincts. Il faut se rappeler ce que rapporte saint Vincent
de Paul, quand il atteste avoir vu l'âme de saint François de Sales,
sous la forme d'un globe de feu, venir du ciel à la rencontre de l'âme
de sainte Chantal ; puis cette sainte âme monter comme un second globe
enflammé moindre que le premier, et s'élancer en lui de manière à ce
qu'on ne vît plus qu'une seule flamme et un seul globe de feu.
Sans
doute ce beau globe, cette étoile double monta plus haut et alla au
souverain Soleil, au grand centre d'amour, qui est le cœur du Christ et
celui de sa Mère. Il y entra pour y trouver, avec son amie glorifiée, le
lieu de son repos. Et n'est ce pas là la consommation des choses et le
bien que tout cœur attend ? Hélas ! nous sommes aujourd'hui séparés,
isolés, dispersés ! Les âmes, les cœurs créés de Dieu pour former une
cité vivante, une vie unique, sont dispersés depuis la chute comme des
feuilles d'automne, tombées de l'arbre et détachées du tronc. Ces
feuilles mortes peuvent former un amas au pied
de l'arbre, ou rouler dans un même tourbillon, sous le même vent ; mais,
privées de la sève commune, elles cessent d'être une même chose,
quoiqu'elles se touchent, et ne sont plus que des débris, quoique
couchées ensemble.
«
Oh ! s'écriait saint Augustin, qui me ressaisira ? Qui me recueillera
du milieu de cette dispersion ? Qui saura me rattacher au sein de notre
mère commune, la cité sainte qui est le ciel ? O ma mère, qui me
recueillera en toi ! »
Et
l'Église, parlant à la sainte Vierge au nom de tous les enfants de
Dieu, s'écrie : « Sainte Mère de Dieu, nous tous nous habitons en vous,
et en vous nous tressaillons de joie. » C'est donc à dire que les cœurs
et les âmes doivent habiter dans l'âme et le cœur de la sainte Mère de
Dieu, pénétrée et enveloppée du Verbe et de tous ses rayons, comme le
corps du soleil est pénétré de lumière et de feu, et enveloppé de ses
rayons.
Oui,
Seigneur, ceux qui aiment savent bien ce qu'est l'hospitalité
intérieure de l'âme à l'âme. Par vous, qui êtes simple, ô mon Dieu, et
en qui tout se touche, une âme peut habiter dans une autre âme ; et,
même sur notre terre, les mères le savent, ou, du moins, si elles
savaient voir autant qu'elles savent aimer, elles verraient qu'après
avoir porté leur enfant dans leur sein elles portent son âme dans la
leur, pendant toute son enfance et pendant sa jeunesse ; et la rupture
du lien vivant de ces deux âmes parfois n'arrive jamais. Pour bien des
mères, quand la rupture arrive, tout bonheur est perdu ; la vie, depuis
ce jour jusqu'à leur dernier jour, n'est plus qu'une solitude. Quant à
la Mère de Dieu, notre mère, son cœur est assez grand pour porter tous
les hommes. Dès aujourd'hui son cœur a comme des veines et des artères
qui s'étendent à tous les vivants. Oh ! que le lien ne se brise pour
aucun ! mais, au contraire, qu'il s'étende à tous ceux qui dorment,
qu'il se resserre pour tous, que tous finissent par entrer dans ce cœur
du monde, uni au cœur de Dieu, qui est le ciel.
On
dit que nous avons au ciel visible une sorte d'image et de prophétie de
ces choses, tracées dans les grandes lignes et les grandes lois de la
création. Aujourd'hui les mondes et les soleils sont dispersés, dans
l'immense étendue, comme la poussière ; mais, disent quelques hommes de
génie, la dispersion des mondes ne subsistera pas. Il y a un centre
universel qui attire tout, et où toute la matière créée finira par se
réunir. La terre et les planètes, qui voguent dans l'espace, et qui
tournent depuis mille et mille ans autour de leur étincelant soleil,
comme un vaisseau qui tournerait autour d'une île de lumière et de feu,
tous ces mondes à la fin se réuniront au soleil, et le soleil lui-même,
gravitant vers quelque plus grand centre s'y confondra.
Les
forces qui maintiennent les astres dans leur course étant, à l'heure
voulue de Dieu, ébranlées, comme s'exprime l'Évangile, les étoiles
tomberont du ciel pour aller se confondre en un seul paradis, au centre
de l'univers, au pied du trône de Dieu, aux pieds de Celle qu'enveloppe l'éternel Soleil et qui est couronnée d'étoiles.
Là,
comme le dit saint Thomas d'Aquin, d'après saint Pierre et Isaïe, les
mondes seront renouvelés par le feu ; là se formera ce lieu dont
Notre-Seigneur a dit : « Je vais vous préparer le lieu,» cette bergerie
unique dont il parle ailleurs, afin, dit-il, que là où je serai tous
ceux qui m'aiment y soient aussi. »
Là
sera ce nouveau ciel et cette nouvelle terre qu'annonce le Prince des
apôtres, à la suite des prophètes ; monde éternel où la justice
habitera, où il n'y aura plus ni cris, ni pleurs, ni mal, ni mort, parce
que Dieu même y essuiera les larmes de tous les yeux, parce que, tous
les cœurs n'étant plus qu'un entre eux et avec Dieu, tout sera dans
l'éternel amour, dans l'éternelle et immuable perfection.
Oh
! quand serons-nous réunis dans ce monde, où il n'y aura plus ni mal,
ni mort ; où Dieu effacera les larmes de tous les yeux, où nous serons
tous ensemble avec Dieu !...
Ici
nous sommes tous dispersés. Les membres de la famille humaine sont
jetés à de telles distances dans le temps et l'espace que la plupart ne
se verront jamais. Parmi tous ceux qui vivent avec moi sur la terre,
combien peu d'hommes ai je regardés une fois ? Et ceux que je regarde
passent sous mes yeux pour ne plus reparaître. Je les rencontre sur mon
chemin, je les salue, et ce salut n'est autre chose qu'un adieu pour
toujours. Ainsi passent en même temps dans la vie les fils d'Adam, sans
se parler, sans se connaître. Et ceux qui se connaissent, qui se
parlent, et croient vivre ensemble, sont encore plus séparés par
l'esprit et par la volonté que ne le sont les hommes qui ne se parlent
ni ne se voient. Oh ! ce n'est pas là la patrie ! Ce n'est pas là la
maison du Père de famille. Ce n'est pas là l'asile où ceux qui aiment
seront unis entre eux et avec Dieu. Ce n'est pas là le sein de notre
Mère céleste où nous devons nous recueillir. Marchons donc et passons
pour aller au lieu du repos. Mais marchons vers le but ; que le cœur ne
prenne pas le change, et n'aille pas en sens contraire
du but. Un seul amour dirige l'homme voyageur vers la patrie, vers le
lieu de l'éternel amour : c'est celui qui aime tout en Dieu, et qui se
donne à l'immaculée Mère, pour être incessamment relevé, consacré, versé
en Dieu.
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