Le mois de Marie de l'Immaculée conception
29 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XXIXe MÉDITATION.
Marie, notre espérance, priez pour nous !
Oh
! que l'on est loin de comprendre ces mots
du Salve, Regina : « Notre vie, notre joie, a notre espérance, salut ! »
Qui sait tout le sens de ce mot : Marie notre espérance
? Puissions-nous aujourd'hui, avec la grâce de Dieu, le méditer assez
pour en entrevoir la lumière !
Qu'est-ce que l'espérance ? Que veut dire ce beau mot ? En quoi consiste cette puissante vertu ?
Les
hommes croient le savoir, car ils ne vivent que d'espérance. Nul n'est
dans le présent, chacun s'incline vers l'avenir, où il attend de
meilleurs jours.
Nous
ne vivons jamais, nous espérons vivre ; et saint Paul nous l'apprend : «
Toute créature gémit, car elle attend. » Mais combien y a-t-il sur la
terre d'espérances vaines et toujours trompées ! Tantôt j'espère ce que
je n'aurai pas ; tantôt j'espère ce qui ne m'apportera nul bonheur.
J'espère donc trop ? Il faut donc vivre sans espérances ? Oh ! si les
hommes savaient qu'ils ne se bercent de vains rêves que parce qu'ils
espèrent trop peu ! Ils espèrent mollement, et ils n'espèrent qu'un trop
petit bonheur. Espérez grandement, absolument. Espérez l'ensemble
parfait de tous les biens possibles, et vous ne serez plus trompés.
L'espérance pleine et absolue est infaillible.
Oh
! si l'on croyait bien cela ! Si l'on savait qu'en vérité l'espérance
absolue est infaillible, c'est-à-dire que l'ensemble parfait de tous les
biens possibles est une réalité présente, et que l'homme, quel qu'il
soit, peut et doit posséder ce bonheur plein et souverain !
Oui,
mon Dieu, créateur du monde et sanctificateur des créatures
intelligentes et libres, vous avez voulu qu'il en fût ainsi. Vous avez
voulu qu'outre vous-même, qui êtes le bonheur infini et la perfection
absolue, il existât des êtres capables de
partager votre bonheur et votre perfection. Vous les avez créés et vous
les avez appelés à ce partage divin ; et, comme il fallait pour cela
créer des êtres libres, qui seuls pouvaient partager votre bonheur et
votre perfection, et comme les êtres libres pouvaient pécher, et se
couvrir de taches, et se rendre mille fois indignes du terme de
l'espérance, vous avez préparé des ressources d'une puissance infinie
pour réparer le mal, pour rendre la vie aux êtres mille fois morts, pour
relever des créatures mille fois déchues. Pour cela vous avez opéré, ô
Dieu, un merveilleux ouvrage. Par votre Incarnation, ou à cause d'elle,
vous avez fait qu'au milieu des esprits créés, qui pouvaient devenir
tous coupables, il y eût un couple pur et régénérateur des âmes
humaines, l'âme de l'Homme-Dieu, l'âme de la Mère de Dieu immaculée ;
l'une dont on ne peut parler tant elle est Dieu, l'autre dont on peut
dire qu'elle eut, sans perdre la liberté, le plus haut degré de pureté
concevable après Dieu. De telle sorte qu'au-dessous de vous, ô Dieu,
perfection infinie, incréée, au-dessous de vous, ô Christ,
adorable et divine perfection, il y a au sommet ou au centre de
l'humanité un être que l'on peut appeler la perfection relative et
créée. D'où il suit, ô mon Dieu, que, dans l'ordre de la perfection,
tout ce qui est concevable existe. Il n'y a point de lacune.
Non-seulement tout ce que l'homme peut concevoir de perfection et de
bonheur, de bonheur infini et de perfection incréée, tout ce qu'il peut
concevoir de perfection créée et de bonheur possible pour l'être créé ;
non-seulement cet ensemble parfait de tous les biens possibles existe
actuellement ; mais encore celui qui conçoit ces choses doit concevoir
en même temps que tout cela peut être à lui et que la possession lui en
est proposée. En sorte que l'homme ne peut rien concevoir de trop beau,
ni rien de trop heureux ; et l'espérance des hommes ne pèche que par
défaut.
Mais
cela même ne montre pas assez tout le mystère, toute la beauté, toute
la grandeur de l'espérance chrétienne. L'espérance chrétienne est plus
encore que tout cela. Si la foi, dit saint Paul, est déjà la substance
des choses que l'on espère, que sera l'espérance
? Car l'espérance, moindre que la charité seule, est plus grande que la
foi. L'espérance ne sera-t-elle pas aussi la substance des biens à
venir ? Quel est, en effet, le principe de la foi, de l'espérance et de
la charité, vertus divines versées dans l'âme par Dieu lui seul ? Ce
principe, dans l'âme, c'est la grâce ; et qu'est-ce que la grâce, sinon
un commencement de participation à la nature divine, un commencement de
la possession de Dieu ? Et qu'est-ce qu'un commencement de possession de
Dieu, sinon le commencement de la vie éternelle, du bonheur souverain ?
De sorte que l'espérance chrétienne possède déjà ce qu'elle espère.
Elle en tient le principe, la substance, le commencement, le germe,
disent les docteurs, appuyés sur la sainte Écriture.
Nous
sommes participants du Christ, dit saint Paul, si nous maintenons
fermement en nous le commencement de sa substance jusqu'à la fin.
Oui, Jésus-Christ est dans son sanctuaire, et ce sanctuaire c'est nous-mêmes, si toutefois nous maintenons fermement en nous
la glorieuse espérance jusqu'à la fin. C'est ce commencement et cette
substance de la vie de Jésus dans l'homme dont saint Jean dit : « La
semence divine demeure en lui. »
Mais
comment, à travers tant de peines, de faiblesses, de péchés, maintenir
en nous la glorieuse espérance jusqu'à la fin ? O notre espérance,
aidez-nous à le bien comprendre. Montrez-nous, ô sainte Mère de Dieu, ô
Reine immaculée, comment vous êtes la Mère de l'espérance sainte,
comment vous êtes la Provocatrice, la Protectrice, l'Appui de
l'espérance.
Deux
belles paroles de saint Ambroise et de saint Anselme nous mettent sur
la voie. Oh que l'âme de Marie, dit saint Ambroise, soit en chacun de
nous pour glorifier Dieu ; que l'esprit de Marie soit en chacun de nous
pour tressaillir en Dieu.
Oui, elle nous porte tous dans ses entrailles, dit saint Anselme, comme une vraie mère.
Nous demeurons tous en vous, pleins de joie, ô sainte Mère de Dieu, dit l'Église catholique.
Mais il nous faudrait croire ces choses ; il nous faudrait savoir que, si les corps sont impénétrables, les âmes ne le sont pas.
Il
y a une pénétration mutuelle des âmes possible entre tous les humains.
En ce sens l'esprit de cette Mère peut pénétrer dans l'âme de ses
enfants, et toutes les âmes de ses enfants peuvent être en elle, et sont
en elle.
C'est
par cette admirable union de nos âmes à la vôtre, ô Mère, que vous
pouvez provoquer, maintenir et diriger en nous l'espérance sainte : la
provoquer, en nous disant, lorsque Dieu nous appelle par sa grâce,
combien ce qu'il nous offre vaut mieux que ce que nous cherchons ; la
régler, en nous avertissant sans cesse lorsqu'après avoir choisi Dieu
nous le cherchons où il n'est pas ; la maintenir fermement en nous
jusqu'à la fin, lorsque l'âme fatiguée, dans cette vie, de ses fautes
toujours renaissantes, est tentée d'oublier la perfection, de renoncer à
la sainteté. C'est alors, ô Mère, que vous parlez à l'âme de votre
enfant en lui disant : Courage ! courage ! la victoire est encore
possible ; la sainteté vous est toujours
offerte, la perfection toujours présente. Bien plus, ô Mère aimée, c'est
alors que parfois vous montrez, dans une douce lumière intérieure, je
ne sais quel admirable objet qui est à la fois et notre âme elle-même,
et l'idée que Dieu a de notre âme, et le degré de perfection où il la
veut élever, et vos vertus fondamentales un moment supposées dans cette
âme, et en même temps quelque chose de votre ravissante beauté, ceux de
vos traits enfin par où chacun de nous peut ressembler à sa céleste
Mère.
Oui,
pour nous rendre courage et nous relever vers le ciel, vous nous
montrez alors notre âme pour un moment transfigurée dans la vôtre et en
Dieu ; vous nous montrez notre beauté possible et notre gloire, qui nous
attend, si nous savons persévérer. Qui n'a cru voir parfois son âme
dans la lumière, dans la paix, dans la vie, dans la beauté qui vient de
la sagesse ? Je sais bien que l'enfer peut nous montrer aussi de faux
portraits de l'âme, assez flattés dans leur maligne et coupable beauté
pour enivrer l'orgueil, assez difformes pour
exciter l'horreur et le dégoût de quiconque aurait entrevu la beauté
sainte. Ces illusions, ces images perverses donnent un moment d'orgueil
démesuré, suivi d'une prompte et profonde prostration. Mais vous, ô
Mère, quand vous nous laissez voir notre âme transfigurée dans l'auréole
que Dieu vous donne, vous ne nous imprimez au cœur, par ce spectacle,
et ne nous laissez emporter qu'un amoureux souvenir du ciel, une claire
et humble connaissance de notre laideur terrestre, et une divine
magnanimité prête à tout vaincre pour effacer nos taches et reconquérir
notre gloire. C'est ainsi, Mère des âmes, que vous ranimez l'espérance
et que vous êtes notre espérance. Mais nous ne le comprenons pas encore
assez. Je suis la Mère du pur amour et de l'espérance sainte, dit
l'Écriture en parlant de vous. En moi est toute l'espérance de la vie et
de la vertu ; et le texte sacré ajoute : « Celui qui se nourrit de moi
sentira croître sa faim, et celui que j'abreuve sentira la soif
s'augmenter. » Rapprochons ces paroles de ces mots
du Sauveur : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car
ils seront rassasiés ; » et ces autres mots : « Celui qui se nourrit de
moi n'aura plus faim, et celui qui boira de l'eau que je donne sera
désaltéré pour la vie éternelle. »
Ces
paroles prises ensemble nous découvrent quelque chose des mystères de
la communion. Nulle créature ne vit que par quelque communion à Dieu ;
mais nulle âme n'a la vie éternelle que par la communion réelle à la
divinité, à l'âme, au corps de Jésus-Christ. Or il y a comme une
communion préparatoire qui donne la faim céleste, et il y a la communion
elle-même qui donne le ciel ; et l'âme grandit par l'accroissement de
la faim, suivie de l'aliment sacré qui donne la vie de plus en plus
abondamment, selon la parole du Seigneur. Et l'accroissement de la faim
n'est autre chose que cette dilatation du cœur que Dieu demande sans
cesse à ceux qui l'aiment, en leur disant : « Dilatez votre cœur et je
le remplirai. »
Dieu demande donc toujours que le cœur se dilate
dans la vie déjà reçue, pour que la vie revienne toujours plus
abondante ; Dieu donne un nouvel accroissement dans la vie quand un
nouvel élan de la faim le demande. Mais alors on comprend à la fois ces
deux paroles de la sainte Écriture : « Celui qui se nourrit de moi a
faim encore ; » et cette autre : « Qui se nourrit de moi n'aura plus
faim. » C'est que l'éternel aliment de la vie est double : l'un augmente
la faim et la soif de la vie, l'autre apaise toute soif et toute faim ;
l'un agrandit le cœur, et l'autre le remplit toujours ; et le premier
est la sagesse créée, qui a dit : « Celui qui se nourrit de moi a faim
encore ; » l'autre, la Sagesse incréée, qui a dit : « Celui qui se
nourrit de moi n'aura plus faim. »
Donc,
ô sainte Mère de Dieu, c'est vous qui nous donnez, je veux dire qui
nous transmettez la faim céleste. C'est vous qui, suivie par nous dans
votre humilité et votre pureté , êtes la préparation humaine à la
communion substantielle de Dieu. La réception de Dieu est notre vie et
notre bien ; et vous, par votre humilité et votre pureté, vous êtes la
faim et la soif de Dieu. Vous êtes donc, en effet, l'espérance du bien
et de la vie. Et si la vie chrétienne est tout entière dans la communion
bien reçue, si la communion bien reçue est tout entière dans la
préparation, vous qui êtes la préparation, que n'êtes-vous pas dans
l'œuvre du salut ? Je comprends maintenant cette parole pieuse, que
celui qui vous aime, ô Marie, « ne peut périr. » C'est vous qui dilatez
les âmes et qui agrandissez les cœurs dans la faim et la soif de Dieu ;
c'est vous dont la prière et dont l'imitation nous obtiennent ces élans
vers la vie et ces dilatations en Dieu qui appellent Dieu et qui
agrandissent Dieu en nous, et qui sont l'espérance de la vie, le progrès
de la vie. C'est donc bien vous, ô Mère, qui êtes vraiment notre
espérance.
Quand
nous sommes unis à votre âme et à votre esprit, quand la parole de
saint Ambroise se réalise : « Que l'âme de Marie soit en ses serviteurs
pour y agrandir Dieu ; que l'esprit de Marie soit dans ses serviteurs
pour tressaillir en Dieu, l'âme unie à cette âme si grande, à cet
esprit qui monte si haut, conçoit la vraie grandeur, sent sa petitesse
et sa bassesse, et entre dans l'humilité. Au moment où elle goûte la
grandeur, elle voit, elle sent toutes les grandeurs possibles, les
perfections infinies de la gloire, et, dans cette vue, ce qu'elle a déjà
n'est plus rien ; elle a faim, elle veut la vie plus abondante ; elle
est humble, elle se voit petite, et demande à grandir ; et, comme saint
Paul, oubliant ce qui est passé, elle s'étend tout entière vers ce qui
la devance, pour s'élancer à la rencontre de la vie ; et cela même est
l'espérance, l'espérance sainte et la divine magnanimité qui s'écrie :
Mon urne agrandit Dieu, et mon esprit s'élance en Dieu. Ceci est
l'éternel cantique qui sort et sortira toujours du cœur de Celle qui est
le progrès et l'espérance.
Heureuse
l'âme qui entend en elle ce cantique ; qui entend, au delà de sa
grandeur actuelle et au-dessous de sa profondeur, une voix, la voix de
l'espérance, qui l'appelle à de plus mystérieuses profondeurs par
l'accroissement de l'humilité, et à de plus magnifiques grandeurs par la
dilatation sous le regard de Dieu, lequel exalte tout ce qui se
recueille.
O
Mère de l'espérance, en qui se trouve toute espérance, provoquez donc,
réglez et augmentez sans cesse en moi cette belle et sainte vertu. Ne
permettez pas que jamais je me repose dans mes misères et que je
désespère de la vertu. Ne permettez pas que jamais je me repose dans mes
vertus, même les plus saintes, et que je les trouve assez grandes.
Montrez-les moi toujours petites, et donnez-moi toujours un cœur et un
esprit pleins d'espérance de choses plus élevées.
Que
si Dieu même est en moi par sa grâce, ô sainte Mère, montrez-moi donc
toujours combien son temple, que je suis, est trop étroit ; et quand
j'aurai dilaté le temple, montrez-moi qu'il n'est pas assez grand.
Obtenez-moi toujours une faim nouvelle pour recevoir toujours une vie nouvelle,
pour agrandir toujours ce cœur où Dieu même veut grandir en moi, comme
le Sauveur grandissait en vous. Montrez-moi quelquefois mon âme
transfigurée en vous, belle de votre auréole, afin de me tirer de la
tristesse où me plonge ma lutte contre le mal, et me rendre toujours
l'espérance que le péché cherche à m'ôter. Donnez-moi cette vigueur
d'espérance que saint Paul nomme gloire d'espérance, qui, possédant une
fois la grâce de Dieu, ne craint plus rien, et se délivre de la
tristesse présente, parce qu'elle sait et sent que l'ensemble parfait de
tous les biens possibles existe en Dieu, existe dans ce ciel de Dieu,
qui est la Mère de Jésus et la nôtre ; que ces biens sont à nous, qu'ils
sont en nous, et que rien ne nous peut les ravir dans toute l'éternité.
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