Le mois de Marie de l'Immaculée conception
18 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
XVIIIe MÉDITATION.
Vierge puissante, priez pour nous !
O
Vierge puissante, priez pour nous ! Obtenez un peu de courage aux âmes
si faibles, au genre humain si languissant ; faites-leur connaître votre
puissance, et la puissance que, par vous et en Dieu, chaque âme et
toute l'humanité peuvent obtenir.
Et
d'abord, la puissance propre et principale de l'homme, c'est la
puissance de la prière. « Quoi que vous demandiez en mon nom, dit le
Sauveur, vous l'obtiendrez. Ce mot s'adresse à la société des élus, dont
Marie est la reine. Il est vrai d'une vérité pleine, absolue et sans
exception, que tout ce que la Mère de Dieu, Reine des hommes, demande à
Dieu, elle l'obtiendra. Mais, dira-t-on, c'est là une sorte de
toute-puissance. Sans aucun doute. La Mère de Dieu est vraiment
toute-puissante. La Vierge est toute puissante par grâce comme Dieu
l'est par nature. C'est un axiome théologique : ce qui convient à Dieu
par nature convient par grâce à la sainte Vierge. L'Homme-Dieu, comme
homme, a toutes choses entre les mains, dit l'Évangile. Mais le Christ
et Marie n'ont qu'un cœur et qu'une âme ; ils sont ensemble le cœur et
le principe du monde régénéré, et il est très certain que, tout ce que
ce cœur veut, Dieu le fait, selon cet autre mot de l'Évangile : «
Lorsque deux d'entre vous s'unissent, tout ce qu'ils demandent, ils
l'obtiennent. » A plus forte raison la sainte Vierge, unie à
Jésus-Christ par la plus merveilleuse union, de manière à n'être, en
effet, qu'un cœur et qu'une âme avec lui, obtient-elle, sans exception
possible, tout ce qu'elle demande à Dieu. Eh bien! il faut en dire
autant de toute âme qui, unie à ce cœur du monde, vit dans l'inspiration
de son esprit : tout ce qu'elle demande, elle l'obtient. Dieu ne
l'a-t-il pas dit ? « Je fais la volonté de ceux qui me craignent ; » à
plus forte raison Dieu fera-t-il la volonté de ceux qui l'aiment.
Outre
cette puissance universelle de la prière, donnée à ceux qui vivent dans
l'union de la Vierge puissante, unie elle-même indissolublement à
Jésus-Christ, le premier et le plus important des pouvoirs spéciaux que
reçoit l'âme, c'est le pouvoir de vaincre le péché. C'est à la Vierge
puissante qu'il est donné d'écraser le serpent ; c'est aux âmes qui lui
sont unies qu'il est donné de vaincre le péché. Mais voilà ce qu'il
faudrait croire, ô âme chrétienne, avec une foi inébranlable et une
ferme espérance. Quel que soit le passé de votre âme, son avenir peut
être délivré du mal. Ne dites pas que vous êtes engagé dans la plus
stérile des luttes, et que, depuis un quart de siècle, peut-être un
demi-siècle, votre vie est semblable à la vie de la terre, où le jour
succède à la nuit, la nuit au jour ; que de même, en votre âme, les
retours de la grâce ont beau succéder au péché, le péché à son tour
surmonte la grâce, et, comme par une vicissitude fatale, vous tient sous
une chaîne invisible qui se relâche parfois, mais qui, ce semble, ne se
brise pas. Ne dites pas que vous mourrez nécessairement ainsi, en
essayant en vain de remplir le vase qui se vide ou d'élever sur le saint
édifice la pierre qui retombe toujours au moment où elle allait
atteindre sa hauteur. Ne dites pas que toutes les autres grâces vous
sont données, mais que la persévérance seule vous est refusée, et par
suite le progrès dans le bien, et la croissance en Dieu, et l'espoir de
la vie éternelle. O âme découragée par de continuelles défaites,
relevez-vous ; la Vierge puissante peut tout. Elle, qui répond
parfaitement à la grâce, qui n'a jamais manqué à aucune grâce, peut
changer toute l'issue d'un combat où vous paraissez reculer depuis
longtemps. Encore un généreux effort pour vous attacher à la Mère du
salut, et pour devenir vous-même mère de votre salut et le mériter, car
il le faut ; encore un généreux effort, et certainement vous allez
vaincre ! Vous viviez dans la honte habituelle de plaies invétérées, de
chutes toujours renouvelées ; vous allez vivre dans la gloire du
triomphe, et vous aller, entendre cette étrange parole du Sauveur : «
Celui qui sera vainqueur, je lui donnerai un nom nouveau, et je lui
donnerai puissance sur les nations. »
Qu'est-ce
à dire, mon Dieu, et qu'est-ce que cette puissance sur les nations que
vous donnez aux âmes victorieuses du péché ? Cela veut dire que celui
qui a vaincu le mal pour lui-même commence à le vaincre pour les autres,
et que, uni au Roi des nations et à la Reine puissante qui écrase le
serpent, il devient un de leurs ministres pour le salut des peuples et
pour la guérison de toutes ces races qui couvrent le globe, et dont
l'Écriture dit : « Dieu a fait guérissables les nations de la terre. »
Celui-là y travaille, soit parles œuvres, soit par l'exemple, soit par
la parole sainte, s'il y est appelé, soit par la toute-puissante prière.
Et
n'est-ce pas là, ô Vierge puissante, le don de puissance le plus
inattendu que vous donniez à vos enfants ? Guérir les peuples, changer
le monde ! Et qui nous dit qu'on peut changer le monde ? Est-ce que le
monde ne s'en va pas vers sa décrépitude ? Est-ce que la foi ne s'éteint
pas ? Est-ce que, depuis le commencement du monde,
le genre humain n'est pas comme l'âme pécheresse, qui retombe après
toutes les grâces, et qui ne sait répondre que par des décadences à
toutes les divines impulsions ? Est-ce que l'antique habitude du mal n'a
pas perverti toute la race ? Est-ce que tant de crimes accumulés
ajoutés aux péchés des pères par chaque génération nouvelle,
n'accélèrent pas la chute à mesure que le monde vieillit ? C'est là, ô
âme à peine victorieuse de vous-même par Jésus et Marie, c'est là ce que
vous voulez vaincre et arrêter ! Oui, disent les saints, nous le
voulons, et, si notre Mère le demande, nous le pouvons. Quel chrétien
oserait le nier ? Qui dira que Marie va demander ces choses et qu'elle
ne les obtiendra pas ? Et qui osera soutenir qu'elle ne va pas les
demander ? Ceux qui en doutent ne connaissent pas la Vierge puissante, «
la Vierge encore inconnue jusqu'ici, » comme l'écrit le vénérable
Grignon de Montfort. Et ce saint personnage, dont les lumières et les
vertus éclatent aujourd'hui parmi nous après plus d'un siècle d'oubli,
ajoute : « Je veux montrer que la divine Marie a été inconnue
jusqu'ici, et que c'est une des raisons pourquoi Jésus-Christ n'est
point connu comme il doit l'être. Si donc, comme il est certain, le
règne de Jésus-Christ arrive dans le monde, ce ne sera qu'une suite
nécessaire de la connaissance et du règne de la très-sainte Vierge
Marie, qui l'a mis au monde la première fois, et le fera éclater la
seconde. Aussi Dieu veut que sa sainte mère soit à présent plus connue,
plus aimée, plus honorée que jamais elle ne l'a été. Marie doit éclater
plus que jamais en miséricorde, en force et en grâce, dans ces derniers
temps. Dieu veut la revêtir et la découvrir comme le chef-d'œuvre de ses
mains. Il la réserve pour la formation et l'éducation des grands saints
qui seront sur la fin du monde. « En ce temps-là des choses
merveilleuses arriveront dans ces bas lieux, où le Saint-Esprit,
trouvant sa chère Épouse formée dans les âmes, y surviendra abondamment
et les remplira de ses dons, et particulièrement du don de sa sagesse,
pour opérer des merveilles de grâce. O mon frère ! quand viendra ce temps ? »
Admirable
doctrine qu'il faut comprendre ! Sainte espérance qu'il faut saisir !
Il faut savoir que Dieu, qui, depuis l'origine du monde, et surtout
depuis l'ère chrétienne, ne cesse de combler les hommes de grâces
prévenantes, excitatrices, gratuites, presque imposées et opérées en
nous sans nous, comme lorsque la grâce du Baptême régénère l'enfant qui
l'ignore, Dieu, si l'on peut le dire, attend le moment où l'ensemble de
l'humanité, sortant de l'enfance, comme le demande saint Paul, et
arrivant à l'âge de clair discernement et de vraie liberté, saura
choisir avec plus de sagesse entre la vie et la mort, et saisir avec
plus de force les dons de Dieu. Tout est offert, tout est donné ; mais
l'homme n'a que bien peu compris et employé le don. Jésus Christ se
développe dans l'Église ; mais il n'est pas encore arrivé chez les
peuples chrétiens à l'âge parfait. Non-seulement il n'est pas arrivé à
cette dernière perfection de sa croissance qui sera la consommation des
élus, mais il n'est pas encore arrivé à cette
plénitude de son âge, à ce degré de croissance mystique où il doit
régner sur la terre, en ce temps pour la venue duquel il ne cesse de
faire répéter à l'Église et à chaque membre de l'Église : « Que votre
règne arrive ; que votre volonté soit faite en la terre comme au Ciel. »
Prière fondamentale que presque tous nous avons le malheur de répéter
chaque jour sans y attacher aucun sens !
Aujourd'hui
Jésus-Christ est et opère dans l'Église ce qu'il était et opérait
pendant trente ans près de Marie, attendant l'âge de ses miracles et de
sa manifestation.
Et
jusqu'à quand doit-il attendre, si ce n'est jusqu'aux siècles heureux
où l'Esprit-Saint, trouvant son Épouse bien-aimée, la Vierge, plus
formée dans les âmes, y surviendra plus abondamment et les remplira de
ses dons ? Et de qui dépend ce progrès, si ce n'est des efforts de
l'homme, aidant et acceptant, et conservant plus fidèlement la grâce
déjà donnée, et méritant, comme la sainte Vierge, par elle, par son
secours et son imitation, de porter, d'agrandir Dieu en soi et de répandre sur le monde la lumière éternelle ?
O
mon Dieu ! je comprends pourquoi votre Église, unique ressource des
progrès du monde, n'écoute qu'avec indifférence ou même avec terreur les
prédicateurs du progrès. C'est qu'en effet tous ces apôtres, tels que
nous les avons entendus, prêchent le progrès, mais apportent la
décadence. Ne sait-on pas que l'esprit de mensonge apprend aux siens à
nommer jour ce qu'est nuit, et nuit ce qui est jour, comme le dit la
sainte Écriture ? C'est ainsi que la décadence en ce siècle a été
appelée progrès. Quand on nous parlera de progrès par orgueil et par
enivrement des sens, sachons bien qu'il s'agit du progrès de l'enfer,
c'est-à-dire d'un mouvement retourné, qui descend au-dessous de l'homme,
au lieu d'aller à Dieu. Là, au contraire, où l'on verra croître
l'humilité, la chasteté, la pureté, les vertus virginales, on peut
croire à tous les progrès, progrès de justice,
progrès de charité, progrès de science, progrès de génie, progrès de
liberté, progrès de force dominatrice du monde et ordonnatrice des
nations. Donc l'Église catholique, en provoquant de toute sa force
l'idée, le culte de l'immaculée Mère de Dieu, est la provocatrice
véritable de tout progrès. Oui, Seigneur, je veux le progrès de mon âme
et le progrès du monde. Je veux m'y dévouer, refréner mes passions,
réprimer mon orgueil, vivre humble et pur. Est-ce trop chèrement acheter
la lumière et les vertus croissantes, la vérité, la liberté, la vie,
pour moi d'abord, puis pour mes frères ?
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