Le mois de Marie de l'Immaculée conception
9 décembre
Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry
IXe MÉDITATION.
Mère très-pure, priez pour nous !
Ne
nous lassons pas de chercher, par la prière et la méditation, par le
désir de la lumière, par la reconnaissance pour ses moindres rayons, à
entrer de plus en plus dans la contemplation du grand mystère de
l'immaculée pureté de la Vierge. Ce mystère est l'un des nœuds de
l'œuvre divine, et en quelque sorte son centre, son ciel, aussi bien
qu'il en est la ressource, et qu'il est l'espérance de ceux qui luttent
et qui voyagent encore.
Pour arriver à de plus vives lumières, écoutons aujourd'hui, sur ce sujet, la doctrine de l'admirable saint Augustin :
«
Vous m'avez appris, ô Seigneur, par une parole irrésistible adressée à
l'oreille intérieure de mon âme, que vous êtes seul éternel, immortel,
qu'il n'y a rien en vous de variable ; que votre volonté subsiste,
immuable, au-dessus du temps : la volonté qui pourrait changer ne serait
plus l'immortelle volonté. « Je vois ces choses dans la lumière de
votre présence, ô Seigneur ; mais, je vous prie, que cette lumière
augmente, et que, sous cette révélation, je persiste à rester sous vos
ailes, humble et petit.
Vous
m'avez dit encore, ô Dieu, par une parole irrésistible adressée à
l'oreille intérieure de mon âme, que toute nature et toute substance qui
n'est pas vous est faite par vous. Cela seul qui n'est pas, ou encore
tout mouvement de volonté qui s'écarte de vous, qui êtes, vers tout ce
qui est moins, cela n'est pas fait par vous ; car un tel mouvement est
le mal et le péché. Enfin nul péché ne vous nuit, ô Seigneur, et ne
saurait troubler en rien l'ordre de vos volontés. Voilà ce qui, en votre
présence, Seigneur, m'est révélé dans la lumière, et, je vous prie, que
cette lumière augmente, et que, sous cette révélation, je persiste à
rester sous vos ailes, humble et petit.
Enfin
vous m'avez dit encore, par une parole irrésistible adressée à
l'oreille intérieure de mon âme, que cette créature même ne vous est pas
coéternelle, celle dont vous êtes seul la volonté ; qui, par la plus
persévérante chasteté, n'a jamais respiré qu'en vous ; que sa mobilité
possible n'a jamais, en rien, fait varier ; qui, s'attachant par son
amour entier à vous, Seigneur, toujours présent, n'a point d'avenir à
attendre, point de passé à regretter, pas de vicissitudes à subir, et
pas de temps à traverser. 0 bienheureuse, quelle qu'elle soit, par sa
ferme inhérence à votre béatitude, bienheureuse de l'éternelle et intime
hospitalité qu'elle vous donne et de l'éternelle clarté qu'elle reçoit !
Et qu'appellerai-je le ciel du ciel qui est à Dieu, si ce n'est, ô mon
Dieu, votre demeure, qui vous contemple, qui vit de votre félicité, sans
défaillir et sans sortir de vous : esprit tout pur et tout rassemblé
dans l'unité parfaite et la paix stable des célestes esprits, citoyens
de la cité d'en haut, supérieure à ce ciel visible ?
Que
l'âme donc à qui le voyage de l'exil paraît long comprenne ces choses,
si déjà elle a soif de vous, si ses larmes sont déjà devenues son
breuvage, si chaque jour elle entend en elle-même cette question : Où
donc est votre Dieu ? si déjà elle cherche et ne veut qu'une seule
chose, habiter tous les jours dans votre demeure, ô mon Dieu ! Que l'âme
donc qui en est capable comprenne ce qu'est l'éternité en face du
temps, puisque déjà votre maison sainte, qui n'a jamais connu l'exil,
quoiqu'elle ne vous soit pas coéternelle, ne souffre pourtant aucune
vicissitude de temps, parce qu'elle, vous demeure attachée sans
intervalle ni défaillance. Voilà ce qu'en votre présence, Seigneur, je
vois dans la lumière, et, je vous prie, que cette lumière augmente, et
que, dans cette révélation, je persiste à rester sous vos ailes, humble
et petit. »
Ainsi
parle l'admirable Saint. Mais, après avoir décrit la très-sainte
créature qui contemple Dieu parfaitement, qui n'a jamais défailli, et
que rien n'a jamais séparé de Dieu, il ajoute :
«
Appellerez-vous erreur ce que la vérité m'enseigne par des paroles
irrésistibles adressées à l'oreille de mon âme ? Et qu'est-ce que la
contradiction pourra nier ici ? Nieriez-vous qu'il y ait une sublime
créature qui se tienne attachée à Dieu, au Dieu éternel et véritable,
par un si chaste amour que, sans lui être coéternelle, cependant, parce
qu'elle ne s'écoule jamais hors de lui, elle ne connaît du temps ni ses
vicissitudes, ni ses variétés, mais reste toujours dans le repos de
l'éternelle contemplation ? Vous vous manifestez à elle, Seigneur, et
vous lui suffisez, et jamais elle ne penche vers elle-même ou ailleurs
que vers vous. Elle est la maison de Dieu, maison qui n'est point faite
de terre, ni même de la matière des cieux, mais qui est spirituelle et
participe à votre éternité, parce qu'elle est éternellement sans tache.
Vous l'avez posée ainsi pour toujours : c'est une loi que vous avez
faite et qui ne sera point violée. Cette divine demeure n'est cependant
pas éternelle ; car elle a commencé, elle a été créée.
Sans
doute nous ne rencontrons aucun temps avant elle, car la sagesse a été
créée avant toute chose ; non cette Sagesse égale, coéternelle à Dieu
son père et notre Dieu, par laquelle tout a été créé, principe du ciel
et de la terre, mais cette autre sagesse créée, nature intellectuelle,
qui est lumière par la contemplation de la Lumière, et qui, quoique
créée, est aussi appelée sagesse. Autant il y a de la différence entre
la Lumière illuminante et la lumière illuminée, autant il y en a entre
la Sagesse créatrice et la sagesse créée, comme entre la justice
essentielle et la justice d'emprunt, qui est la nôtre.
Il
y a donc une sagesse antérieure à tout être créé, créée elle-même :
c'est l'âme intelligente et raisonnable de votre chaste cité, notre mère
d'en haut, qui est libre et vit au ciel dans l'éternité, en ce ciel des
cieux qui vous louent, étant elle-même le ciel des cieux qui est à Dieu
; et quoique nous ne trouvions avant elle aucun temps, puisqu'elle
précède la création du temps, avant cette sagesse, cependant, il y a
l'éternité de Dieu même qui l'a créée, et qui lui a donné son
commencement. »
Méditons avec recueillement ces pages toutes lumineuses et dont la profondeur n'a peut-être pas encore été pleinement commentée.
Et
d'abord cet illustre Père de l'Église, cette principale autorité de
l'Église d'Occident, enseigne ici, avec une force d'affirmation qu'on ne
rencontre pas souvent dans ses écrits, que cette doctrine, fondée sur
l'Écriture, lui a été, de plus, directement révélée de Dieu, dans la
lumière et dans la force irrésistible d'une parole intérieure.
Et
qu'enseigne-t-il ? Il enseigne qu'il y a une sublime créature, qui est
notre Mère céleste, et en qui Dieu habite, et qui, depuis l'heure de sa
création, est demeurée, sans vicissitudes ni défaillance aucune, tout
entière attachée à Dieu.
Mais
qui est-elle, cette sublime créature ? C'est, selon saint Augustin,
celle dont parle la sainte Écriture lorsqu'elle dit : « J'ai été créée
avant les siècles et dès le commencement ; » et ailleurs : « La Sagesse a
été créée avant tout. » Or, à qui l'Église catholique
applique-t-elle ces paroles de la sainte Écriture ? C'est à la Vierge,
Mère de Dieu, et à l'humanité de Jésus-Christ. Ces grands textes sur la
sagesse créée composent partout et toujours l'office de la sainte
Vierge.
Sans
doute on peut prétendre que notre saint docteur applique ici à la cité
des anges tout ce qu'il dit de la sagesse créée ; et la société
lumineuse des anges forme en effet une création qui, dès le
commencement, sans défaillance ni vicissitudes, est restée attachée à la
contemplation de Dieu. Mais il y a quelque chose au-dessus des anges :
il y a la Reine des anges, il y a l'humanité du Sauveur, et, selon saint
Augustin même, ce ne sont pas les anges qui ont été créés d'abord et
avant tout. Les anges, dit saint Augustin, furent créés quand Dieu dit :
"Que la lumière soit !" et avant cela, dans l'intention et dans l'idée
divine, il y avait déjà, selon le saint docteur, le principe de la
création qui implique tout et dont la Genèse dit : « Dans le principe
Dieu créa le ciel et la terre. » Le principe absolu de toute chose,
c'est Dieu même ; mais le principe relatif et créé, comme le montre
saint François de Sales, le principe en qui, pour qui tout a été créé,
c'est l'Homme-Dieu, lequel, par son humanité, est l'aîné de toute
créature, et sa Mère, qui, parmi les pures créatures, est en un sens
l'aînée, comme l'enseignent les saints docteurs. Si donc il y a une
création première et principale, qui est appelée notre mère et qui
demeure attachée à Dieu sans défaillance, une création que rien n'a
jamais pu séparer un instant de Dieu, comment pourrait-on dire que la
Mère du Verbe, destinée de toute éternité à être la Reine de cette
création sainte, comme le Verbe incarné en est le principe et le maître,
comment pourrait-on dire que la Mère du Verbe ait été, pendant un seul
instant, soumise à l'empire des ténèbres et séparée de Dieu, pendant que
les anges, ses sujets, poursuivaient leur immuable contemplation et
leur indéfectible union à Dieu ?
O
Marie, qui, en donnant un corps au Verbe, avez répandu sur le monde la
lumière éternelle, priez pour nous, afin que ces profonds mystères, que
nous apercevons déjà dans le lointain, brillent à nos yeux plus
vivement, et que, dans cette lumière, nous demeurions toujours sous
l'aile de Dieu et sous vos ailes, ô Mère des âmes, humbles et petits
comme des enfants ! Pour moi, Seigneur, je veux entrer dans cette
lumière. Je veux, comme le demande saint Augustin, arriver à sentir mon
exil, à comprendre ce qu'est l'éternité en face du temps, et travailler à
rapprocher de l'éternité le temps qui m'est donné. La vie pleine,
éternelle, c'est la contemplation, la possession, sans vicissitudes, de
la lumière et de l'amour. Le temps, comme le temps visible de cette
terre, c'est le mouvement et la vicissitude entre les ténèbres et le
jour. Mon âme, dans son état présent, voit la lumière avec
intermittence. Le jour, pour l'âme, disent les maîtres de la vie
intérieure, c'est un rayon qui revient par intervalles. L'âme qui a
entrevu la lumière le sait bien. Elle sait que bientôt elle a vu
la lumière pâlir, puis s'éteindre, et que, l'ayant cherchée encore, elle
ne l'a plus trouvée. On était dans la vie, dans la joie, dans l'ardeur ;
on croyait y rester toujours ; mais le temps a marché, et sa sphère
mobile a tourné, et le soleil a enseveli sous l'horizon toutes ses
ardeurs et ses splendeurs. Ce qui reste n'est plus que regret et
souvenir. On regrette de n'avoir pas profité du jour. Pendant que vous
avez la Lumière, dit le Sauveur, croyez à la Lumière, pour que vous
deveniez fils de Lumière. C'est là ce que je veux maintenant pratiquer,
pour rapprocher de l'éternité le temps qui m'est donné. Quand le rayon
reviendra, j'y croirai avec plus de force ; je saurai que ce n'est pas
là ma lumière, ô mon Dieu, mais la vôtre ; je saurai que la lumière va
passer ; je me hâterai, et je soumettrai aussitôt toute mon âme à cette
splendeur qui est vous-même, afin de devenir fils de lumière, comme vous
le promettez. Alors, sans doute, le rayon passera moins vite, la nuit
ne viendra pas si tôt. Les jours grandiront dans mon âme, comme quand
notre hémisphère recommence à pencher vers le soleil. La suite des jours
de mon intelligence et de mon cœur ne sera plus coupée que par de
courtes nuits, et peut-être, avant d'entrer dans le plein jour de
l'éternité, arriverai-je aussi, comme les saints, à ces grands jours
polaires qui font comprendre l'éternité, jours doubles où le soleil ne
fait que s'incliner vers l'horizon et le toucher, pour indiquer la nuit
et se relever aussitôt.
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