Le mois de Marie
ou méditations sur sa vie, ses gloires et sa protection
Source : Livre "Le mois de Marie ou méditations pour chaque jour du mois sur sa vie, ses gloires et sa protection" par Aleksander Jełowicki
POUR LE 28e JOUR DU MOIS
POUR LA FÊTE DE NOTRE-DAME DU ROSAIRE.
(Le 1er dimanche d'octobre.)
(Le 1er dimanche d'octobre.)
LÉGENDE DU BRÉVIAIRE ROMAIN.
Lorsque
l'hérésie des impies Albigeois ravageait toutes les contrées de
Toulouse, et que de jour en jour elle poussait de plus profondes
racines, saint Dominique, qui venait d'instituer l'Ordre des Frères
Prêcheurs, faisait tous ses efforts pour la combattre. Pour accomplir
son œuvre de la manière la plus efficace, il adressa ses ardentes
prières à la sainte Vierge, dont la dignité avait été impudemment
outragée par les sectaires, et demandait son assistance, d'autant
qu'elle a le pouvoir d'abattre toutes les hérésies. La sainte Vierge
alors (à ce que la tradition rapporte) invita saint Dominique à prêcher
aux peuples le saint Rosaire, comme une arme très salutaire contre les
vices et les erreurs ; ce dont le saint s'acquitta admirablement, en
exécutant avec zèle la mission qui lui avait été confiée. Or le Rosaire
est une série de prières composée de quinze dizaines de salutations
angéliques, séparées entre elles par des oraisons dominicales, et
chacune de ces dizaines se trouve accompagnée d'une méditation pieuse
sur l'un des quinze mystères de notre rédemption. A dater de cette
époque, ce mode de prier, chaudement recommandé par saint Dominique, se
propagea avec un succès merveilleux, et les souverains Pontifes
attestèrent à plusieurs reprises, par des lettres apostoliques, que
saint Dominique a été le fondateur et le propagateur de cet exercice de
dévotion. Cette institution salutaire attira d'innombrables bienfaits
sur la communauté chrétienne, au nombre desquels on compte justement la
victoire remportée, près des îles nommées Echinades, sur les forces
prépondérantes des Turcs, par le saint père Pie V et les chefs chrétiens
stimulés par ses exhortations. Et ce n'est pas sans raison que nous
attribuons cette victoire à cette dévotion particulière ; car elle fut
remportée le jour même où la confrérie du saint Rosaire récitait dans
tout le monde chrétien ses prières habituelles selon le rit prescrit. Et
Grégoire XIII, en le confirmant de son autorité, et voulant que des
actions de grâces soient rendues à la très sainte Vierge, sous
l'invocation de NotreDame du Rosaire, par toute la terre et dans tous
les siècles, pour un bienfait aussi signalé, ordonna que-sa fête fût
célébrée sous le rit double majeur chaque premier dimanche d'octobre,
dans toutes les églises possédant l'autel du saint Rosaire. Depuis,
d'autres Papes ont accordé un grand nombre d'indulgences aux confréries
du saint Rosaire, ainsi qu'à ceux qui accomplissent régulièrement cet
exercice de dévotion. Enfin, le Pape Clément XI, considérant que la
célèbre victoire remportée en 1716 en Hongrie, par Charles VI, élu
empereur romain, sur d'innombrables cohortes ottomanes, est arrivée le
jour même où l'on célébrait la fête de Notre-Dame des Neiges, et à
l'heure même où la confrérie du saint Rosaire, accompagnée d'une
multitude de fidèles, suppliait Dieu avec ferveur et en grande solennité
qu'il daignât accorder la victoire sur les Turcs, en demandant
humblement la puissante assistance de la sainte Vierge, et implorant son
secours en laveur de la chrétienté, attribua justement cette victoire ,
ainsi que la levée du siége de l'île de Corcyre, bloquée par-les
infidèles, à la toute-puissante protection de Notre-Dame du Rosaire. Et
pour éterniser la mémoire de ce bienfait, non moins que les actions de
grâces des fidèles, il ordonna que la fête du saint Rosaire fût
désormais célébrée le même jour et sous le même rit, dans toute l'Église
universelle. Et Renoît XIII fit insérer tout cela dans le Bréviaire
romain. Ainsi, glorifions toujours la mère de Dieu par cet exercice de
dévotion, qui lui est tellement agréable, afin que, de même qu'elle
avait daigné tant de fois accorder aux fidèles, qui lui adressaient les
prières du saint Rosaire, la victoire sur les ennemis de la terre, elle
daignât aussi nous accorder la victoire sur les ennemis de l'enfer (').
I.
«
Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la
tienne. Elle te brisera la tête, et tu tâcheras de la mordre par le
talon ('). »
Cette
première prédiction par laquelle Dieu, dans sa miséricorde, tout en
prédisant la confusion du serpent, consolait aussi nos premiers parents,
au moment même où il les châtiait de leur péché, cette prédiction s'est
accomplie dans la personne de Marie, et c'est par Marie qu'elle
continuera son accomplissement jusqu'à la fin des siècles. Le fils réel
et unique de Marie, c'est Jésus ; ses fils adoptifs, mais non moins
véritables, ce sont tous les disciples de Jésus-Christ : car Marie est
la mère de Jésus et la mère de tous les fidèles de Jésus-Christ. Marie
est la mère de Jésus, parce qu'elle lui a donné le corps et la vie du
corps. Marie est notre mère, parce que c'est par elle que nous recevons
la grâce de Dieu, c'est-à-dire la vie de l'âme.
Dieu
a mis une inimitié éternelle entre Marie, conçue sans péché, et Satan,
le père et le principe du péché ; il a mis une inimitié éternelle entre
la race de Marie, qui est Jésus-Christ, ainsi que les enfants fidèles de
Marie, et la race de Satan, qui sont les enfants du péché. Et d'abord,
entre la race de Marie, qui est Jésus-Christ, vainqueur du péché, « cet
agneau de Dieu , qui ôte le péché du monde ('), » et la race des enfants
de Satan, qui sont les enfants du péché : « Elle te brisera la tête, et
tu tâcheras de la mordre au talon (2). » Marie a brisé la tête de
Satan, en restant debout sous la croix de son fils, en sacrifiant son
fils à la mort de la croix pour le salut du monde. Marie a brisé la tête
de Satan avec son talon, dans ce sens principalement, que Jésus-Christ,
comme dit saint Léon, en sacrifiant son corps au martyre de la passion,
a brisé toute la puissance de Satan (3). Et comme le corps de
Jésus-Christ, à côté de sa divinité, n'était qu'une chose tout à fait
inférieure, figurée par le talon ; que, d'un autre côté, le corps de
Jésus-Christ est en quelque sorte le corps de Marie, car il est
uniquement formé du corps de Marie ; ainsi, dans ce sens spirituel
aussi, Marie a brisé avec son talon la tête de Satan. Et, ce talon,
Satan tâchait toujours de le mordre, et il l'attaquait avec fureur ; et,
au moment où il s'imaginait l'avoir déjà mis en lambeaux sur la croix,
ce talon bienheureux lui brisait la tête ; et c'est par Marie qu'elle a
été brisé : « Elle te brisera la tête ('). »
Et
nous aussi, nous sommes les enfants de Marie. Entre nous aussi et la
race de Satan, c'est-à-dire le péché, Dieu, dans sa miséricorde, a
daigné mettre une inimitié éternelle ; et Satan tâche, par tous les
moyens possibles, de nous mordre ; il s'attaque toujours à nous, afin de
nous perdre. Mais sa tête est déjà brisée ; il ne lui reste que sa
gueule, toujours béante, armée d'un dard venimeux, dont il blesse et
tue, mais uniquement ceux qui s'en approchent volontairement : car
Satan, comme dit saint Bernard, « ressemble à un chien à l'attache ; il
peut aboyer, mais il ne saurait mordre (2), » si ce n'est ceux qui,
d'eux-mêmes, se livrent à lui, sans s'inquiéter du danger auquel ils
s'exposent.
Grâce
à Jésus et à Marie, Satan ne peut donc rien pour notre perte ; il
n'exerce d'action sur nous que par notre infidélité, c'est-à-dire, s'il
parvient à nous faire renier la foi en Jésus et en Marie, à laisser
entrer le péché dans notre cœur, et à nous faire cesser par là
d'appartenir à la race de Marie, pour devenir enfants de la race de
Satan, qui combat éternellement avec celle de Marie.
Ce
sont ces infidèles et ces déserteurs qui composent ici-bas l'armée de
Satan, combattant avec acharnement l'armée de Jésus-Christ composée de
fidèles enfants de Marie. Ce ne sont, du côté de Satan, que méchanceté,
orgueil, avarice, impudicité, cruauté, lâcheté, haine, toute mauvaise
doctrine et tout scandale, n'importe de quelle forme il soit et sous
quelle couleur il se présente : voilà le cortége de Satan. Du côté des
enfants de Marie, c'est l'humilité, l'obéissance, la douceur, la
patience, la foi, l'espérance, la charité, la chasteté, et Marie
elle-même. Donc de notre côté la victoire est infaillible, complète ;
victoire sur toutes les tentations, sur toutes les épouvantes, sur
toutes les illusions, sur toutes les malices ; victoire sur Satan,
victoire en Jésus-Christ, mais par Marie : « Elle te brisera la tête ! »
II.
«
Aussitôt que la bienheureuse Vierge fut élevée pour régner dans les
cieux, le pouvoir du démon fut réduit et ruiné ('). » Ces paroles de
saint Bernardin de Sienne se trouvent chaque jour vérifiées par le fait.
Car, quel est celui qui n'ait point vaincu Satan, en invoquant le
secours de Marie ? Et Marie ne se contente pas de nous prêter seulement
un secours ordinaire, elle nous accorde encore des secours
extraordinaires, en nous expédiant de temps en temps du haut des cieux
les plus puissants auxiliaires.
Cette
puissante protection de Marie éclata surtout par le don du saint
Rosaire, qu'elle nous présenta du ciel comme une chaîne propre à
enchaîner l'enfer, pour qu'il ne pût rien tenter contre nous ; chaîne
composée de quinze anneaux d'or, de quinze mystères d'amour, nous
apportant la victoire de Jésus et de Marie ; victoire qui est bien la
nôtre, car elle est pour nous. Ces saints mystères forment, pour ainsi
dire, une armée rangée en bataille, armée composée de quinze légions
d'anges, ayant à leur tête Jésus et Marie.
La
première victoire que Marie nous a fait remporter sur l'enfer, à l'aide
du saint Rosaire, fut la conquête de l'hérésie des Albigeois par saint
Dominique. Et Marie nous fera vaincre ainsi toutes les erreurs, car
l'Église chante « sa victoire sur toutes les hérésies ('). » Et Marie
nous donnera la victoire sur tous les ennemis de la sainte Église, comme
elle nous la donnait toutes les fois que nous les combattions en son
nom et en son honneur.
Il
n'y a pas de victoire que nous ne puissions obtenir avec le secours du
Rosaire ; car, qu'est-ce que le Rosaire ? Le Rosaire est l'ensemble de
tous les mystères ayant trait à la victoire remportée sur l'enfer. Il
est le symbole de cette victoire et en même temps la victoire elle-même.
Dans les cinq premiers mystères, qui sont : l'Annonciation, la
Visitation, la Nativité de Notre-Seigneur, sa Présentation et Jésus
retrouvé dans le temple, et qu'on nomme mystères Joyeux, le combat se
prépare avec toute la certitude de la victoire. Dans les cinq autres
mystères, qui sont : la Prière dans le jardin des Oliviers, la
Flagellation, le Couronnement d'épines, le Chemin du Calvaire, et le
Crucifiement, et qu'on nomme mystères Douloureux, le combat sanglant,
terrible, se continue et porte en lui-même une victoire complète,
absolue. Dans les cinq derniers mystères, qui sont : la Résurrection,
l'Ascension, la Descente du Saint-Esprit, l'Assomption, et le
Couronnement de la sainte Vierge, et qu'on nomme mystères Glorieux, nous
retrouvons le fruit de la victoire, le triomphe et les conquêtes
éternelles.
Dans
tous ces mystères, la coopération et l'union entre Jésus et Marie sont
telles, que leurs deux noms ne se laissent jamais séparer. Au nom de
Jésus, l'écho de nos cœurs répond par le nom de Marie ! Au nom de Marie,
l'écho de nos âmes répond par le nom de Jésus !
Dans
ces quinze dizaines, qui sont quinze légions armées pour le combat,
Jésus et Marie, Marie et Jésus, forment cette puissance envahissante,
invincible, ces guides suprêmes de la victoire, devant lesquels tout
genou fléchit, toute puissance se brise.
Mais
ces armes, mais ces armures, mais ces chefs, mais cette armée que nous
donne le saint Rosaire, pour nous assurer la victoire ont absolument
besoin d'un combattant, sans lequel tout serait perdu ; ce combattant,
c'est vous, c'est moi, c'est chacun de nous. Passez donc sous les
étendards de Jésus et de Marie, et la victoire est à vous.
III.
«
Comprenez donc, s'écrie saint Bernard, combien Dieu exige de nous de
piété et d'amour, dans les hommages par lesquels il veut que nous
honorions Marie, puisqu'il a déposé en elle la plénitude de tout bien :
afin que nous sachions que toute espérance, toute grâce, le salut même,
nous viennent abondamment par elle ('). » — « Marie, dit le bienheureux
Raymond, présente les prières de ses serviteurs devant le trône de Dieu ;
car elle est notre avocate devant le Fils, comme le Fils est notre
avocat devant le Père ; ou plutôt, elle l'est devant le Père et le Fils
(2). » Et nous pouvons ajouter: et devant le Saint-Esprit, pour
intercéder dans tous nos besoins. Marie, que saint Laurent Justinien
appelle « la véritable médiatrice entre Dieu et les hommes (3), » Marie
nous offre, dans son saint Rosaire, une échelle pour monter au ciel, et
un lien sacré qui nous enchaîne à Dieu pour toute l'éternité ; de sorte
que le bienheureux Alain n'hésite point à dire : « que celui qui a de la
dévotion pour le saint Rosaire, porte le signe d'élection pour la
gloire éternelle ('). » — « Cherchons donc la grâce, et cherchons-la par
Marie, s'écrie saint Bernard, car ce que nous cherchons par Marie sera
indubitablement trouvé par elle, puisque telle est la volonté de Dieu,
que nous possédions tout par Marie (2). »
Cherchons
tout par Marie, qui nous cherche avec tant de sollicitude, qui nous met
entre les mains son saint Rosaire ; cette arme redoutable pour les
démons, qui les met en fuite et les fait rentrer dans leur ténébreux
empire ; ces quinze dizaines de saintes prières qui pénètrent son cœur
d'amour pour nous, et nous remplissent de tendresse pour elle.
0
Marie ! je me rends à vous ! Je désire être votre captif ; car ce n'est
que dans la prison de votre amour que consiste la véritable liberté. 0
mère bien-aimée ! enchaînez-moi de cette chaîne de votre amour, et
rivez-la à votre cœur brûlant du feu d'un amour inextinguible. Je ne
suis pas digne de cette grâce, je le sais, et cependant je l'espère ;
car « une mère peut-elle oublier son enfant (3) ? » Ainsi, ô Marie !
bien que je vous aie abandonnée souvent, bien que je ne sois pas digne
d'être appelé votre enfant, vous êtes pourtant ma mère ! Soyez donc ma
mère pendant ma vie et à ma mort ! Et je ne craindrai ni la mort ni le
jugement ; car, comme Richard l'a si bien dit : « Qui oserait venir
m'accuser, en vous voyant porter ma défense. »
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