Stabat Mater
Stabat Mater (traduction du latin : La Mère se tenait debout) est une séquence composée au treizième siècle et attribuée au franciscain italien Jacopone da Todi.
Elle
a été exclue de la liturgie lors du Concile de Trente, mais réintégrée
en 1727, devenant la cinquième et la dernière des séquences autorisées.
La fête associée à cette séquence est celle de Notre-Dame des douleurs
(15 septembre), mais aujourd'hui, elle est rarement chantée.
Le
texte de la séquence évoque la souffrance de Marie lors de la
crucifixion de son fils Jésus-Christ. Marc Honegger le définit ainsi :
« poème rimé de vingt tercets de trois vers célébrant la compassion de
la Vierge aux douleurs de son fils crucifié ». Marie y est présentée
plus comme une femme qui souffre que comme la reine des cieux.
Le titre est un incipit, en quelque sorte une abréviation de Stabat Mater dolorosa,
son premier vers, que l'on peut traduire ainsi : « La Mère se tenait
debout, douloureuse… ». Les tercets 1 et 2 font référence à une
prophétie biblique de Siméon, faite à la Vierge durant la Présentation
au Temple de Jésus, quarante jours après sa naissance : "Et toi-même,
ton cœur sera transpercé par une épée. Ainsi seront dévoilées les
pensées secrètes d'un grand nombre." (Luc, II, 35). Les tercets 3 à 7
présentent une contemplation des souffrances de la Vierge : "Qu'elle
était triste, anéantie, / La femme entre toutes bénie...". Les tercets 9
à 18 sont une prière qui demande à la Vierge de nous unir à sa
souffrance : "Ô Mère, source de tendresse...". Les deux derniers tercets
sont une prière au Christ : "Ô Christ, à l'heure de partir...".
Ce
poème latin médiéval est souvent considéré comme l'expression classique
d'une nouvelle forme de piété, plus empathique et émotive,
caractéristique de la fin du Moyen Âge. Le thème de la Mater Dolorosa
s'inscrit aussi dans l'explosion de la dévotion mariale, promue
notamment par l'ordre franciscain. L'affliction en demeure le thème
central. Le croyant est plus à même de ressentir sa douleur humaine de
mère que celle du fils d'essence divine, mais aussi de nature divine.
Le thème religieux du Stabat Mater a été mis en musique par plusieurs compositeurs, et illustré par de nombreux peintres.
La mise en musique du texte, par le compositeur Pergolèse (1736), est restée célèbre depuis le XVIIIe siècle.
Les compositions musicales
Parmi les nombreux compositeurs :
- Moyen Âge et Renaissance : Josquin des Prés, Giovanni Pierluigi da Palestrina, Roland de Lassus.
- Âge baroque (XVIIe-XVIIIe siècles) : Alessandro Scarlatti, Antonio Caldara, Antonio Vivaldi, Emanuele d'Astorga, Domenico Scarlatti, Giovanni Battista Pergolesi, Agostino Steffani, Tommaso Traetta, Sébastien de Brossard.
- Âge classique (2e moitié du XVIIIe siècle) : Joseph Haydn, Luigi Boccherini, Antonio Salieri, Niccolò Antonio Zingarelli.
- XIXe siècle : Gioachino Rossini, Franz Schubert, Franz Liszt, Josef Rheinberger, Antonín Dvořák. Le Stabat mater fut l'une des dernières compositions de Giuseppe Verdi. C'est le n° 2 de ses Quattro pezzi sacri (Quatre pièces sacrées), 1898.
- XXe siècle : Lorenzo Perosi, Karol Szymanowski, Francis Poulenc, Krzysztof Penderecki, Arvo Pärt, François Fayt, Salvador Brotons.
- XXIe siècle : Bruno Coulais, Karl Jenkins, Julien Joubert, Marco Rosano, Ludovic Amadeus Selmi.
- En 2013, le groupe de variété française Sexy Sushi, apparenté punk ou actionniste viennois, en reprend, dans une traduction personnelle, les 9 premiers tercets.
Le texte original avec une traduction libre, du type paraphrase
Rogier van der Weyden (détail) (c. 1435-1440)
Jean de Beaumetz (1390-95)
Robert Campin (c. 1425)
Rogier van der Weyden (c. 1460)
Hubert van Eyck (c.1430)
Latin | Français |
---|---|
Stabat Mater dolorosa Juxta crucem lacrimosa dum pendebat Filius. Cuius animam gementem, contristatam et dolentem, pertransivit gladius. O quam tristis et afflicta fuit illa benedicta Mater Unigeniti. Quæ mœrebat et dolebat, Pia Mater cum videbat Nati pœnas incliti. Quis est homo qui non fleret, Matrem Christi si videret in tanto supplicio? Quis non posset contristari, Christi Matrem contemplari dolentem cum Filio? Pro peccatis suæ gentis vidit Iesum in tormentis et flagellis subditum. Vidit suum dulcem natum morientem desolatum, dum emisit spiritum. Eia Mater, fons amoris, me sentire vim doloris fac, ut tecum lugeam. Fac ut ardeat cor meum in amando Christum Deum, ut sibi complaceam. Sancta Mater, istud agas, Crucifixi fige plagas cordi meo valide. Tui nati vulnerati, tam dignati pro me pati, pœnas mecum divide. Fac me tecum pie flere, Crucifixo condolere, donec ego vixero. Iuxta crucem tecum stare, et me tibi sociare in planctu desidero. Virgo virginum præclara, mihi iam non sis amara: fac me tecum plangere. Fac ut portem Christi mortem, passionis fac consortem, et plagas recolere. Fac me plagis vulnerari, fac me cruce inebriari, et cruore Filii. Flammis ne urar succensus per te Virgo, sim defensus in die judicii Christe, cum sit hinc exire, da per Matrem me venire ad palmam victoriae. Quando corpus morietur, fac ut animæ donetur Paradisi gloria. Amen ! In sempiterna sæcula. Amen. | Elle était debout, la Mère, malgré sa douleur, En larmes, près de la croix , Tandis que son Fils subissait son calvaire. Alors, son âme gémissante, Toute triste et toute dolente, Un glaive transperça. Qu'elle était triste, anéantie, La femme entre toutes bénie, La Mère du Fils de Dieu ! Dans le chagrin qui la poignait, Cette tendre Mère pleurait Son Fils mourant sous ses yeux. Quel homme sans verser de pleurs Verrait la Mère du Seigneur Endurer si grand supplice ? Qui pourrait dans l'indifférence Contempler en cette souffrance La Mère auprès de son Fils ? Pour toutes les fautes humaines, Elle vit Jésus dans la peine Et sous les fouets meurtri. Elle vit l'Enfant bien-aimé Mourant seul, abandonné, Et soudain rendre l'esprit. Ô Mère, source de tendresse, Fais-moi sentir grande tristesse Pour que je pleure avec toi. Fais que mon âme soit de feu Dans l'amour du Seigneur mon Dieu : Que je Lui plaise avec toi. Mère sainte, daigne imprimer Les plaies de Jésus crucifié En mon cœur très fortement. Pour moi, ton Fils voulut mourir, Aussi donne-moi de souffrir Une part de Ses tourments. Donne-moi de pleurer en toute vérité, Comme toi près du Crucifié, Tant que je vivrai ! Je désire auprès de la croix Me tenir, debout avec toi, Dans ta plainte et ta souffrance. Vierge des vierges, toute pure, Ne sois pas envers moi trop dure, Fais que je pleure avec toi. Du Christ fais-moi porter la mort, Revivre le douloureux sort Et les plaies, au fond de moi. Fais que Ses propres plaies me blessent, Que la croix me donne l'ivresse Du Sang versé par ton Fils. Je crains les flammes éternelles; Ô Vierge, assure ma tutelle À l'heure de la justice. Ô Christ, à l'heure de partir, Puisse ta Mère me conduire À la palme des vainqueurs. À l'heure où mon corps va mourir, À mon âme, fais obtenir La gloire du paradis. Amen ! Pour les siècles des siècles. Amen. |
Stabat Mater speciosa
Une autre séquence liturgique analogue au Stabat Mater dolorosa est attribuée à Jacopone da Todi ; moins connu, le Stabat mater speciosa décrit les joies de Marie dans l'étable de Bethléem, d'après le récit évangélique.
Pratiquement oublié dès la fin du XVe siècle, le texte n'est redécouvert qu'à la moitié du XIXe siècle par l'historien catholique français Antoine-Frédéric Ozanam (Poètes Franciscains en Italie au Treizième siècle).
Comparativement au Stabat Mater dolorosa, peu de compositeurs ont mis en musique le Stabat Mater speciosa ;
on retiendra la composition de Franz Liszt, troisième mouvement de son
oratorio Christus. Notons que cette pièce fait partie de la première
partie (oratorio de Noël), tandis que l'on trouve le Stabat Mater dolorosa dans la troisième partie (oratorio de la Passion).
Voici le texte original de la séquence et une traduction :Latin | Français |
---|---|
Stabat Mater speciosa Iuxta foenum gaudiosa Dum iacebat parvulus Cuius animam gaudentem Laetabundam et ferventem Pertransivit iubilus O quam laeta et beata Fuit illa immaculata Mater unigeniti! Quae gaudebat et ridebat, Exultabat cum videbat Nati partum incliti Quis est, qui non gauderet, Christi Matrem si videret In tanto solacio? Quis non posset collaetari, Piam Matrem contemplari Ludentem cum Filio? Pro peccatis suae gentis Vidit Iesum cum iumentis, Et algori subditum. Vidit suum dulcem natum Vagientum adoratum Vili diversorio Nati Christus in praesepe Coeli cives canunt laete Cum immenso gaudio Stabat senex cum puella Non cum verbo nec loquela Stupescentes cordibus Eia Mater, fons amoris Me sentire vim ardoris Fac, ut tecum sentiam Fac, ut ardeat cor meum In amando Christum Deum Ut sibi complaceam Sancta Mater, istud agas, Pone nostro ducas plagas Cordi fixas valide. Tui nati coelo lapsi, Iam dignati foeno nasci, Poenas mecum divide. Fac me tecum congaudere Iesulino cohaerere Donec ego vixero In me sistat ardor tui Puerino fac me frui Dum sum in exilio Hunc ardorem fac communem, Ne me facias immunem, Ab hoc desiderio. Virgo virginum praeclara, Mihi iam non sis amara Fac me parvum rapere Fac, ut portem pulchrum fortem Qui nascendo vicit mortem, Volens vitam tradere. Fac me tecum satiari, Nato tuo inebriari, Stans inter tripudia Inflammatus et accensus Obstupescit omnis sensus Tali de commercio. Fac me nato custodiri Verbo Christi praemuniri Conservari gratia Quando corpus morietur, Fac, ut animae donetur Tui nati vis | La Mère merveilleuse Se tenait, joyeuse, dans la crèche Où dormait son enfant De son âme festive Dansante et joyeuse Vint un chant de réjouissance Ô combien radieuse et bénie Était l’immaculée, Mère du Fils Unique ! Ô combien heureuse, réjouie Et exultante était-elle observant La naissance de son divin fils Qui ne se pavoiserait S’il voyait la Mère du Christ Dans un tel confort ? Qui ne se réjouirait aussi À voir la Mère du Christ Ainsi jouer avec son Fils ? Pour les péchés de Son peuple Parmi les bêtes du fardeau elle a vu Jésus, soumis à l’austérité. Elle a vu sa douce progéniture Adorée, pleurant, Langée dans de vils bandages Pour le Christ nouveau-né dans sa crèche Les anges chantent gaiement Dans une grande réjouissance Le vieil homme se tenait avec sa jeune épouse Sans mot dire, son cœur empli De merveilles indicibles. Ô Mère, fontaine d’amour, Faites-moi ressentir votre ardeur Laissez-moi la partager avec vous. Embrasez mon cœur De l’amour du Seigneur Dieu Puis-je trouver la grâce à ses yeux Sainte Mère, ne soyez pas sévère Car vos souffrances Sont fixées aux tréfonds de mon cœur. En compagnie de votre divin enfant Laissez-moi prendre part À la pénitence qu’il daigne supporter Laissez-moi me réjouir avec vous, Partager l’adoration de Jésus Aussi longtemps que je vivrai Puisse votre ardeur m’emplir Puisse l’enfant être refuge Dans mon exil Entraînez-moi dans cette ardeur Faites que je ne tourne pas le dos À son désir. Vierge des vierges, la plus élevée d’entre toutes, Ne soyez pas amère envers moi, Laissez-moi prendre l’enfant dans mes bras Puis-je en lui puiser la force, Lui qui par sa naissance conquiert la mort Et donne la vie. Puis-je avec vous être comblé, Enivré de votre Nouveau-Né Sous de bons auspices Ainsi enflammé du feu de l’amour Les sentiments sont tus Par le souffle de l’altruisme Puisse le Premier-Né me protéger, Et les mots du Christ me soutenir Puisse sa bénédiction me sauver Lorsque mon corps s’éteindra Laissez mon esprit accéder À la vision de votre Premier-Né. |
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire